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Chapitre V. Le fonctionnement du Parlement

Synthèses

par Rémi Schenberg

Les parlements sont, fondamentalement, des instances délibératives : en tant que telles, à l’instar des assemblées non politiques d’associations ou de sociétés, il leur faut se réunir plus ou moins régulièrement pour examiner un ordre du jour généralement préétabli, selon des règles de procédures connues et acceptées par tous les participants. Bien entendu, cette description sommaire n’épuise pas le sujet et les assemblées parlementaires ont, le plus souvent, développé, s’agissant de leur mode de fonctionnement, un cadre normatif sophistiqué, en phase avec leur mission et leur rôle dans la vie institutionnelle des États.

Le présent chapitre regroupe donc des données relatives au cadre temporel du travail parlementaire et à son cadre matériel – c’est-à-dire la détermination des sujets soumis à débats. Il y est également traité de la question de la publicité de ces débats, sujet essentiel puisque la transparence des délibérations des représentations nationales va théoriquement de pair avec leur vocation démocratique.
Deux observations préliminaires doivent être formulées.

Tout d’abord, sur le plan formel, force est de constater que les informations transmises dans le cadre du présent chapitre sont souvent sommaires, parfois lapidaires, et, en tout état de cause, réservent une faible place aux pratiques des parlements. Seules quelques contributions – en l’occurrence celles des parlements du type britannique – font état de l’organisation et du déroulement des séances, la question des horaires de travail n’est que marginalement évoquée et la détermination de l’ordre du jour reste le plus souvent traité de manière théorique. Dans ces conditions, l’exercice de synthèse ne peut être que limité, aussi parti a été pris de présenter plus en détail certaines situations particulières permettant d’illustrer des spécificités méritant d’être mises en relief.

Ensuite, sur le fond, il convient de mettre d’emblée en exergue une profonde césure sémantique entre les pays de culture britannique et ceux de culture « continentale ».

Dans la plupart des parlements de l’espace francophone, ce que l’on appelle « session » correspond au cadre infraannuel pendant lequel l’assemblée siège de plein droit et peut se réunir en séance publique. Il peut y avoir une ou plusieurs sessions par année civile, déterminées souvent dans les textes constitutionnels, chacune d’entre elles obéissant à un calendrier plus ou moins fixe, avec un début et une fin et séparées par des « intersessions ».

En revanche, dans les parlements du type britannique – en l’espèce le Parlement fédéral canadien et l’Assemblée nationale du Québec – la session est, à l’intérieur de la législature d’une durée maximale de cinq ans aux termes de la Constitution, une période de temps indéterminée pendant laquelle la chambre peut siéger, incluant les périodes d’ajournement de travaux. Une session de type anglo-saxon commence par un acte de procédure spécifique – discours du Trône par le Gouverneur général au Canada ou allocution du Lieutenant Gouverneur suivi du discours d’ouverture du Premier ministre à Québec – et s’achève par la « prorogation » de la session ou la dissolution de l’assemblée. Une session peut ainsi durer quelques jours ou plusieurs années. Le choix de « proroger » une session, c’est-à-dire de clôturer celle qui est en cours pour en ouvrir une nouvelle, obéit, en fait, à des considérations d’opportunité politique, au gré des priorités gouvernementales. Ce qui correspond aux sessions et intersessions « continentales » est appelé « périodes de travaux » (Québec) ou « périodes de séances » (Canada) et « périodes d’ajournement des travaux », selon un calendrier, cette fois, fixé par les Règlements des assemblées.


1.- DES PARLEMENTS RÉUNIS DE PRÉFÉRENCE POUR DEUX SESSIONS ORDINAIRES ANNUELLES.

Au vu des contributions disponibles, le mode de fonctionnement en deux sessions ordinaires – ou deux périodes de travaux selon la terminologie applicable dans les parlements du type britannique – semble être le plus répandu dans l’espace francophone. Ce régime est, somme toute, assez traditionnel dans le monde parlementaire : sur le plan historique, il répond, notamment, à des préoccupations organisationnelles légitimes puisqu’il s’agit de réunir sur un même lieu des représentants élus originaires de zones géographiques parfois éloignées ; sur le plan fonctionnel, il préserve des moments qui ne sont pas dédiés à la délibération collective et qui permettent aux parlementaires de se consacrer à d’autres tâches, notamment dans leurs circonscriptions ; sur le plan institutionnel, il contribue à limiter les effets pervers d’un « parlement permanent ». De fait, sur les 23 parlements entrant dans le champ de l’étude, 13 ont opté pour cette organisation du travail, 8 ont choisi la session unique, alors que deux ont retenu des rythmes plus atypiques.

En règle générale, le calendrier parlementaire est prévu dans la Constitution, plus rarement dans les Règlements des Assemblées (Cap vert, Luxembourg, Québec, Val d’Aoste). Au Canada, la Constitution se borne à fixer la durée maximum de la législature et à préciser que le Parlement se réunit au moins une fois par an.

Le fonctionnement en deux sessions s’organise, dans l’ensemble, selon le même schéma : une session de printemps, qui commence soit en février (Hongrie, Roumanie), soit, le plus souvent, en mars (Andorre, Burkina Faso, Gabon, Maurice, Québec, Tchad) soit en avril (Cambodge, Guinée, Maroc, Val d’Aoste), voire en mai (Madagascar) et se termine en juin, en juillet ou même en août (Maurice), et une session d’automne qui débute en septembre (Burkina Faso, Gabon, Guinée, Hongrie, Madagascar) ou octobre pour s’achever fin décembre.

Ce cadre général masque cependant certaines différences :
- Au moins un parlement, en l’occurrence l’Assemblée nationale du Québec, du moins le seul à avoir fait état de cette caractéristique, distingue, au sein des périodes de travaux, des sous périodes pendant lesquelles le rythme de travail diffère. En l’espèce, du deuxième mardi de mars jusqu’au 24 mai, l’Assemblée est alors en période de « travaux ordinaires » et se réunit trois jours par semaine, du mardi au jeudi de 10 à 18 heures, avec suspension de 12 à 14 heures. Du 25 mai au 23 juin, l’Assemblée siège en « travaux intensifs » du mardi au vendredi, de 10 à 24 heures, avec suspension de 13 à 15 heures et de 18 à 24 heures. La même césure existe à l’automne où la chambre tient séance en travaux ordinaires du troisième mardi d’octobre au 24 novembre puis en travaux intensifs du 25 novembre au 21 décembre.
- Certains parlements affectent expressément une session à un ordre du jour particulier. Tel est le cas à l’Assemblée nationale de Guinée qui distingue la « session des lois », au printemps, de celle « du budget », à l’automne. Il reste qu’en pratique, dans bon nombre d’assemblées, le budget occupe de facto l’essentiel de l’ordre du jour de l’une ou l’autre des sessions, selon que l’année fiscale et budgétaire commence à la fin de l’automne ou au printemps.
- Deux sessions peuvent toutefois aboutir à des durées cumulées de session variables. Le temps disponible peut ainsi atteindre 8 mois (Andorre, Gabon, Hongrie, Roumanie), étant entendu que le parlement ne siège pas systématiquement pendant toute cette période, ou être significativement plus bref et ne pas dépasser 6 mois (Cambodge, Maroc), 5 mois ou cinq mois et demi (Madagascar, Québec ), voire même 4 mois (Guinée).

Comme on l’a vu, un nombre non négligeable de parlements ont opté pour la session unique (Belgique, Communauté française de Belgique, Canada, Cap-Vert, France, Luxembourg, Sénégal, Tunisie).
Dans quelques cas, la session unique ne semble pas avoir de terme précis (Belgique et Communauté française de Belgique, Luxembourg), mais, le plus souvent, elle débute en octobre pour se terminer fin juin (France, Sénégal) ou fin juillet (Cap-Vert, Tunisie), étant entendu que les travaux sont interrompus de temps à autres. Au Canada, le calendrier des travaux est fixé chaque année, mais en principe les séances commencent en septembre et sont ajournées courant juin, tout en étant entrecoupées de nombreuses semaines de « pause » ou d’ajournement. Dans tous les cas, la session unique dure de 9 à 10 mois, sans préjudice de la durée réelle des travaux, comme on le verra plus loin.

Il est difficile de mettre en évidence un dénominateur commun permettant d’expliquer le choix de la session unique.
Il est ainsi celui de démocraties parlementaires anciennes, mais aussi de certaines plus jeunes. Quant au cas de la France, le choix pour la session unique est relativement récent puisqu’il résulte d’une réforme constitutionnelle de 1995.

On peut également évoquer les objectifs visés. Par exemple, en France, les motivations pour l’adoption de la session unique étaient multiples : d’une part, rationaliser le travail parlementaire en faisant disparaître les sessions extraordinaires devenues quasi systématiques, en limitant les jours de séances à trois par semaine afin de permettre aux parlementaires de concilier fonctions de législateur et celles d’élu local et en limitant les séances de nuit ; d’autre part, éviter la « mise en sommeil » du Parlement pendant une période relativement longue, situation jugée comme bridant la fonction de contrôle.
De rares assemblées se sont, enfin, dotées de rythmes parlementaires atypiques.

Ainsi, l’Assemblée du Valais fonctionne selon 10 sessions mensuelles. Le Parlement fédéral suisse se réunit, quant à lui, au cours de quatre sessions par an, de trois semaines chacune, prolongeables par le biais de sessions spéciales, si le temps n’est pas suffisant, décidées au sein de chaque assemblée.

À l’examen, et si l’on fait abstraction des situations extrêmes, la portée des différences entre session unique et sessions doubles ou multiples au regard du temps de travail parlementaire disponible n’est pas toujours réellement significative. Les assemblées fonctionnant selon deux sessions relativement longues, soit 8 mois, bénéficient d’une durée totale de session en définitive peu différente de la moyenne de ce que l’on observe en cas de session unique. Par ailleurs, il convient de distinguer durée de la session et jours effectifs de séances. La France connaît ainsi une session unique de 9 mois, mais la Constitution limite les jours de séance à 120, ce plafond pouvant cependant, selon certaines conditions, être dépassé. La Chambre des communes du Canada, du fait des nombreuses semaines de « pause », ne tient habituellement séance que vingt sept semaines par année civile. Enfin, le fait qu’une assemblée ne puisse pas siéger en formation plénière n’empêche pas que des organes spécialisés –commissions ou comités au premier chef – puissent poursuivre leurs travaux pendant les périodes d’intersession ou d’ajournement des travaux. Il en était ainsi en France avant l’institution de la session unique en 1995 et il en est de même actuellement au Québec. La relative brièveté des sessions ou des périodes de travaux d’un parlement ne signifie donc pas nécessairement son « hibernation » périodique, même si celui-ci n’a plus la faculté, de temps à autres, de jouir de la totalité des prérogatives que les institutions lui reconnaissent.

La préférence pour un système plutôt qu’un autre participe donc autant de la culture institutionnelle et parlementaire que de la volonté d’atteindre un objectif clairement défini. Il reste que si l’impact sur le temps disponible est le plus souvent réduit, les choix faits en la matière ont des conséquences réelles sur l’organisation du travail parlementaire, sur la gestion de la procédure législative, sur la stratégie parlementaire du gouvernement et sur les conditions de vie des parlementaires eux-mêmes.

2.- LA DILATATION DU CALENDRIER PARLEMENTAIRE : SESSIONS EXTRAORDINAIRES ET SESSIONS DE PLEIN DROIT.

Le calendrier fixe imposé par le rythme des sessions présente l’avantage de la stabilité, mais, en revanche, il constitue une contrainte si, d’aventure, l’intervention du parlement se révèle nécessaire en dehors des périodes de séances préétablies. Le droit parlementaire francophone prend en compte ce cas de figure en mettant en place, le cas échéant, des mécanismes qui permettent d’étendre ponctuellement les créneaux ordinaires ou réguliers de séances.

Ces modifications du rythme de travail parlementaire peuvent résulter d’une demande formulée par un des pouvoirs publics ou, parfois, être automatiques, au vu de la réunion de certaines circonstances.

2-1.- L’extension sollicitée du calendrier parlementaire.

Deux motifs peuvent justifier le besoin de dépasser les limites fixées par le cadre rigide des sessions : l’insuffisance du temps de session disponible aux termes des textes applicables, c’est-à-dire du temps de session ordinaire, pour boucler un programme législatif, ou bien la survenance d’un événement ou d’une circonstance justifiant la réunion du parlement en dehors du calendrier normal.

Pour faire face à ces deux situations, la plupart des parlements francophones connaissent le principe de périodes supplémentaires au cours desquelles ils peuvent siéger. Dans les parlements de tradition continentale, il s’agit des sessions « extraordinaires », en opposition aux sessions « ordinaires ». Dans les parlements du type britannique, il n’y a pas de « session » extraordinaire et le concept qui s’en rapproche, à savoir une ou plusieurs séances tenues hors du calendrier parlementaire régulier, est celui des séances extraordinaires .
Les dispositifs ainsi mis en place possèdent certaines caractéristiques communes.

Dans la grande majorité des cas, les sessions extraordinaires sont convoquées par le Chef de l’État – souverain ou Président de la République – à la demande, soit du chef de gouvernement, soit d’une fraction plus ou moins importante des membres du parlement. Si certaines assemblées se contente d’une minorité de parlementaires (1/3 au Cambodge, Val d’Aoste et en Roumanie, 1/4 en Suisse, 1/5 en Hongrie), la plupart d’entre elles requièrent la majorité de leur membres (Burkina, France, Madagascar, Sénégal, Tchad, Tunisie…), certaines exigeant une majorité qualifiée (Guinée).

Deux situations particulières méritent, par ailleurs, d’être évoquées. D’une part, il n’est pas rare que le chef de l’État puisse être aussi lui-même à l’origine de la demande d’une session extraordinaire (Cap-vert, Guinée, Hongrie, Madagascar, Roumanie, Sénégal, Tunisie). D’autre part, dans les parlements de tradition britannique, les séances extraordinaires ne peuvent être convoquées qu’à la demande du Premier ministre et de lui seul.

Un autre trait commun réside dans l’objet même de la session extraordinaire, du moins dans les parlements autres que ceux du type britannique. Dans presque tous les cas, les parlements doivent être convoqués sur un ordre du jour déterminé (Andorre, Cap-Vert, France, Gabon, Hongrie, Madagascar, Maroc, Tunisie). Dès lors, la session ainsi convoquée s’achève lorsque cet ordre du jour a été épuisé. Dans les parlements de tradition britannique, il n’existe pas de disposition expresse restreignant a priori le champ des séances extraordinaires, mais celles-ci sont, en pratique, toujours tenues sur un ordre du jour déterminé qui figure dans la demande du Premier ministre.
La mise en œuvre des sessions extraordinaires fait néanmoins apparaître des différences.

En premier lieu, et bien que les informations fournies dans les contributions soient parcellaires, les convocations sont, en pratique, plus ou moins fréquentes. Dans certains cas rarissimes et limitées à des ouvertures de sessions (Belgique, Luxembourg), elles peuvent être fréquentes (Burkina Faso) voire monnaie courante, en particulier en France en dépit du passage à la session unique, pourtant censée les endiguer….

En second lieu, la durée maximum des sessions extraordinaires peut ne pas être fixée, et être alors liée à l’épuisement de l’ordre du jour sur lequel la chambre a été convoquée, soit être limitée par une disposition constitutionnelle expresse. La session extraordinaire ne peut ainsi excéder 15 (Burkina Faso, Sénégal) ou 12 jours (Madagascar). Certains textes constitutionnels introduisent une nuance : la durée de la session fait l’objet d’un plafond uniquement lorsque la demande émane de l’assemblée elle-même. Tel est le cas en France (12 jours) ou au Tchad (15 jours). Cette subtilité, qui constitue un verrou supplémentaire à l’obligation de siéger sur un ordre du jour déterminé, traduit la crainte de voir le parlement être tenté de se réunir de son propre chef en session permanente.

2-2.- L’extension automatique du calendrier parlementaire.

De la même manière qu’ils se réunissent de plein droit à une date déterminée, les parlements peuvent être amenés à se réunir, également de plein droit, lorsque surviennent certains événements ou que sont réunies des circonstances particulières.
Cette faculté est loin d’être généralisée. Les parlements du type britannique l’ignorent, de même que la plupart des parlements qui ne relèvent pas de la tradition parlementaire française (parlements d’Europe continentale, Maroc, Tunisie…), exception faite du Cap-Vert où l’Assemblée est réunie de plein droit pour le début de la législature et en cas d’état d’urgence.

De fait, le dispositif de session de plein droit le plus complet est celui proposé par la Constitution française qui prévoit, d’une part, la réunion automatique de l’Assemblée nationale nouvellement élue à l’issue d’une dissolution et, d’autre part, la réunion du Parlement pour la lecture d’un message du Président de la République et lorsque ce dernier décide de recourir aux pouvoirs exceptionnels en cas de crise. On retrouve un schéma comparable dans les systèmes présidentialistes dont les institutions sont proches de celles de la France : le dispositif est identique au Gabon ; le Burkina Faso et le Sénégal le retenant pour les seules circonstances exceptionnelles.

On mentionnera pour finir le cas particulier du Tchad ou la chambre se réunit de plein droit pour mener à bien l’examen du budget si cela n’a pas été possible pendant la session ordinaire.

3.- LA MAÎTRISE GOUVERNEMENTALE DE L’ORDRE DU JOUR

Le chapitre IV, relatif à l’organisation du Parlement, a donné l’occasion d’aborder les questions touchant à la fixation de l’ordre du jour sous l’angle organique. On a ainsi vu que, dans la très grande majorité des cas, cette fonction incombait à une instance collégiale – Bureau, Conférence de Présidents, réunion des leaders ou présidents de groupe - sauf dans les assemblées de tradition britannique où il s’agit d’une prérogative exclusivement gouvernementale.

Les éléments d’information fournis dans le cadre du présent chapitre n’apportent pas beaucoup d’informations complémentaires. À ce stade, on formulera donc quelques remarques générales sur le rôle prépondérant du gouvernement en la matière, mais aussi sur les limites que ce dernier rencontre dans les parlements du type britannique en raison de l’organisation particulière des séances. Enfin, on fera état des pratiques française et québécoise, représentatives de deux systèmes « types ».

3-1.- La maîtrise gouvernementale sur l’ordre du jour des assemblées

La grande majorité des parlements francophones confie à un organe parlementaire compétence pour fixer l’ordre du jour moyennant un rôle privilégié reconnu au gouvernement.

Bien entendu, dans les parlements de tradition britannique, la question va de soi puisque c’est le leader du gouvernement – l’équivalent du ministre chargé des relations avec le Parlement - qui appelle les affaires à l’ordre du jour de la Chambre. Comme on le verra plus loin, cette omnipotence est toutefois tempérée par l’organisation de la séance et l’existence de créneaux « protégés ».

Dans les autres systèmes parlementaires, le plus souvent, selon des modalités pratiques variables, l’organe collégial compétent fixe l’ordre du jour tout en assurant la priorité aux affaires du gouvernement (Burkina Faso, France, Gabon, Madagascar, Maroc, Sénégal, Tchad…). Il est également possible que l’organe collégial exerce ses prérogatives après coordination directe avec les ministres (Tunisie). A minima, sans retenir un principe général de priorité gouvernementale, l’instance compétente donne la priorité aux demandes du président de la République ou aux interventions du Premier ministre (Roumanie).
Bon an mal an, la majorité des parlements francophones semblent donc s’être dotés de l’un des outils privilégié de ce que l’on appelle en France communément le « parlementarisme rationalisé ». On peut y voir également la mise en œuvre d’un principe de base du régime parlementaire à savoir que le gouvernement, qui dispose nécessairement de la confiance de la Chambre, doit pouvoir mettre en œuvre, à son rythme, son programme et ses priorités d’action.

3-2.- Les contraintes imposées par l’organisation de la séance dans les parlements du type britannique.

Dans les parlements du type britannique, les prérogatives du gouvernement en matière d’ordre du jour sont balisées par le cadre rigide du déroulement des séances. On se bornera ici à évoquer le cas de la Chambre des communes du Canada, mais, peu ou prou, le même schéma prévaut pour l’ensemble des parlements qui s’inscrivent dans cette tradition.

De fait, les séances doivent respecter un ordre quotidien qui correspond au déroulement des travaux, suivant l’ordre prescrit par le Règlement. Celui-ci distingue cinq phases, dont l’ordre peut varier selon les jours de séance, mais qui doivent nécessairement avoir lieu.
• Les activités quotidiennes : outre la prière, il s’agit des déclarations des députés et, surtout, des questions orales.
• Les affaires courantes, qui sont l’occasion de signaler des questions diverses et d’informer la chambre. La durée en est variable, en fonction des questions à aborder. Il s’agit, principalement, des dépôts de projets de loi, des déclarations des ministres, des pétitions et des motions présentées par tout ministre ou député.
• Les ordres émanant du Gouvernement, qui absorbent près de 24 heures par semaine, qui regroupent l’examen des crédits, les mesures fiscales, les projets de loi du gouvernement et les autres affaires que le gouvernement veut évoquer à ce stade.
• Les affaires émanant des députés, d’une heure quotidienne, consacrées à l’examen des projets de loi ou motions présentées par des députés qui ne sont pas ministres. Les motions invitent la Chambre à se prononcer sur une question.
• Les débats d’ajournement, de trente minutes, qui permettent à un député de revenir sur une réponse à une question posée pendant la période des questions.
Outre ces créneaux quotidiens, qui constituent autant de contraintes pour la fixation de l’ordre du jour, certaines affaires doivent, de plus, venir hebdomadairement devant la Chambre. On mentionnera principalement la déclaration hebdomadaire du leader de l’opposition officielle qui peut, à cette occasion, interroger le gouvernement sur ces intentions.

3-3.- Les pratiques à travers deux exemples « types ».

Pour illustrer les pratiques en matière d’ordre du jour, il est intéressant de placer « un coup de projecteur » sur deux parlements caractéristiques, représentant chacun un type de parlementarisme : la France, où la fixation de l’ordre du jour par la Conférence des présidents se conjugue à la maîtrise gouvernementale ; le Québec où la prépondérance gouvernementale semble sans limite. Dans les faits, la réalité, tout en respectant ce constat général, est plus nuancée : en France, la maîtrise gouvernementale ne prive pas le Parlement de toute marge de manœuvre ; au Québec, elle n’ignore pas les préoccupations de l’opposition.

En France, aux termes de la Constitution, le Gouvernement a la faculté de déterminer les projets et propositions de loi qu’il entend faire figurer à l’ordre du jour, et de fixer l’ordre dans lequel ils seront examinés. Cet ordre du jour dit « prioritaire » est communiqué à la Conférence des Présidents, puis, à la suite de cette dernière, à l’Assemblée. Fixant l’ordre du jour prioritaire, le Gouvernement est libre de le modifier. Les modifications sont très fréquentes en fin de session, en raison du nombre de textes en navette et de la nécessité de coordonner les travaux de l’Assemblée avec ceux du Sénat.

La marge de manœuvre du gouvernement est cependant d’abord limitée par des dispositions constitutionnelles qui conduisent à « geler » quelques créneaux dans l’agenda des assemblées et auxquels il ne peut déroger. À l’Assemblée nationale, il s’agit pour l’essentiel des débats sur les motions de censure et les séances mensuelles réservées aux groupes parlementaires.

Certes, la Conférence des Présidents ne se prononce pas sur le programme de travail qui constitue « l’ordre du jour prioritaire ». Cependant ses réunions permettent des discussions informelles qui amènent assez souvent le Gouvernement à consentir à des ajustements. Par ailleurs, depuis octobre 1995, le Gouvernement informe la Conférence des Présidents chaque début de semestre des projets ou débats dont il envisage l’inscription à l’ordre du jour et de la période envisagée pour leur discussion, sans pour autant être lié par cette programmation qui reste, en tout état de cause, indicative. Sur ces bases, les contacts entre cabinets ministériels et commissions permettent au Gouvernement de connaître leur plan de charge et de déterminer les études qu’elles peuvent mener à bien dans des délais raisonnables. Enfin, les assemblées, par la voix de leurs Présidents ou en Conférence des Présidents, ne se privent pas de critiquer un programme de travail qu’elles jugent trop chargé.

De surcroît, une fois le travail législatif entamé, le gouvernement ne dispose que d’une maîtrise relative de son déroulement. Certes, comme on le verra ultérieurement, la Constitution et les Règlements lui reconnaissent des prérogatives considérables dans la procédure législative, mais celles-ci ne sont pas systématiquement utilisées, ne serait-ce qu’en raison de leur coût politique. Par ailleurs, le gouvernement ne détermine quotidiennement ni l’agenda des commissions ni le contenu de leurs travaux, qui bénéficient, en la matière, d’une réelle autonomie, bien entendu dans le cadre de l’ordre du jour déterminé par la Conférence des Présidents.

Au total, l’ordre du jour des assemblées françaises est à l’évidence très largement contraint par les priorités gouvernementales, mais dans les faits, sa fixation n’exclue pas une prise en compte des préoccupations des assemblées. Maître de l’ordre du jour des assemblées, le gouvernement doit composer avec ces dernières et, dans les faits, on assiste à une sorte de « co-organisation » du travail parlementaire entre chambres et gouvernement.

Au Québec, comme au Parlement du Canada d’ailleurs, le Gouvernement maîtrise continûment l’ordre du jour, aussi bien en Chambre qu’en commissions.

De fait, c’est au gouvernement, émanation exécutive du groupe majoritaire, qu’il appartient de fixer l’ordre du jour de l’Assemblée. Cette prérogative ne résulte donc pas d’une prescription constitutionnelle, mais bien de la nature intrinsèque du système parlementaire du type britannique, le gouvernement faisant partie intégrante du pouvoir législatif.

Ainsi, c’est le gouvernement qui décide des projets de loi qui seront étudiés au cours d’une session, ainsi que de l’ordre dans lequel cela se fera. Au quotidien, c’est le leader du gouvernement qui indique à l’Assemblée l’affaire inscrite au feuilleton qui fera l’objet d’un débat. Concrètement, le Président invite le leader à indiquer l’article du feuilleton qu’il souhaite voir appeler, que ce soit au début ou à l’issue de l’examen d’une autre affaire.

L’ordre du jour ne donne lieu à aucune programmation prévisionnelle communiquée par avance. Tout au plus, le feuilleton récapitule les affaires pendantes devant l’Assemblée, dont les projets de loi en fonction des étapes auxquelles ils sont rendus. C’est parmi ces affaires que le leader du gouvernement va effectuer ses choix quotidiens, au vu des priorités politiques du gouvernement, du plan de charge de l’Assemblée et des commissions ou des exigences réglementaires. Le leader du gouvernement ayant le contrôle presque entier de la période des affaires du jour, certaines affaires peuvent n’être jamais appelées. Ainsi, des projets sont condamnés à « mourir au feuilleton », selon l’expression consacrée. C’est, on s’en doute, le cas de la plupart des projets de loi présentés par des députés de l’opposition.
Cette prérogative exclusive connaît cependant des exceptions notables.
Tout d’abord, l’appel des affaires par le leader se fait sous réserve des affaires prioritaires. Comme leur nom l’indique, ces affaires ont priorité sur toute autre question, en raison de leur importance ou de leur urgence .

Ensuite, le leader ne dispose pas des séances du mercredi matin qui sont consacrées à des débats sur les affaires inscrites par les députés de l’opposition, sauf en période de travaux intensifs.
Par ailleurs, le pouvoir du leader du gouvernement est limité par la tenue éventuelle d’un débat d’urgence ou d’un débat sur un rapport de commission .

En tout état de cause, la compréhension de ces prérogatives gouvernementales doit tenir compte d’une donnée fondamentale de la pratique parlementaire, à savoir le dialogue concernant l’organisation du travail parlementaire entre le gouvernement et l’opposition, dont au premier chef l’opposition officielle en la personne de son leader. Sans nier les prérogatives réglementaires du gouvernement et ses marges de manœuvre politiques, l’organisation des travaux donne lieu à de très fréquentes rencontres et consultations entre les leaders, de sorte que les situations de « fait accompli » apparaissent, en définitive, assez rares.

4.- DES DÉBATS PRÉPARATOIRES À HUIS CLOS, DES DÉBATS PLÉNIERS PUBLICS

La publicité des débats des assemblées parlementaires est une des manifestations les plus tangible de leur essence démocratique. La transparence des délibérations est, en effet, le gage que les citoyens sont en mesure d’observer la manière dont leurs représentants exercent le mandat qui leur a été confié.

Cette exigence démocratique n’est cependant ni absolue ni uniforme. Elle s’exprime de manière différente dans l’enceinte où se déroulent les séances plénières de l’assemblée et où se réunissent l’ensemble des élus et dans les autres instances où ces derniers n’exercent pas la plénitude de leurs attributions et où, pour l’essentiel, ils se bornent à préparer les décisions qui seront soumises à l’assemblée elle-même.
De fait, les parlements de l’espace francophone distinguent nettement la séance « publique » et les réunions de commissions qui obéissent à des règles de publicité, la plupart du temps, plus restrictives.

4-1.- La séance est publique

Dans tous les parlements francophones, les débats en séances plénières sont ordinairement ouverts au public qui peut y assister librement ou sur invitation. Toutefois, parce que la nature des sujets évoqués peut le justifier, chacun d’eux a la possibilité de siéger en comité secret, à huis clos ou « en privé », selon leur terminologie propre.
Outre l’ouverture au public des séances, qui constitue une exigence de base, certaines assemblées organisent des systèmes plus ou moins élaborés de retransmission audiovisuelle des débats tenus en chambre.
Les parlements canadien, français, luxembourgeois et québécois, s’appuyant sur le développement des réseaux câblés, ont ainsi décidé de se doter d’un « canal » ou d’une « chaîne » parlementaire, dédié principalement à la diffusion des travaux parlementaires. Si la plupart de ces chaînes se concentrent principalement sur la retransmission télévisée, en direct ou en différé, des débats de la chambre, en France, LCP-AN et Public Sénat, qui sont des chaînes indépendantes, mais financées par les assemblées, proposent une programmation étoffée adossée à une véritable ligne éditoriale, ce qui les assimile, de fait, à des quasi chaînes spécialisées d’information.

4-2.- Les commissions : une transparence à géométrie variable.

Au chapitre de la publicité des réunions de commissions, les parlements de l’espace francophone se divisent en deux groupes distincts. Dans la majorité des assemblées, les commissions se réunissent en principe à huis clos (Andorre, Burkina Faso, Cambodge, France, Gabon, Jura, Madagascar, Maroc, Maurice, Sénégal, Suisse, Tunisie, Val d’Aoste), mais un nombre non négligeable d’entre elles ouvrent au public leurs séances (Communauté française de Belgique, Cap-Vert, Hongrie, Macédoine, Roumanie), voire en assurent, de surcroît, la retransmission télévisée (Canada, Québec). Notons que lorsque le principe est celui de la réunion publique, les commissions peuvent y déroger et se réunir en comité secret. Par ailleurs, les réunions de travail, consacrées à l’organisation de leurs travaux, peuvent demeurer confidentielles (Québec).

Cette dichotomie peut s’expliquer par plusieurs raisons.

D’une manière générale, la tradition semble être de préserver le secret des délibérations des travaux préparatoires et des discussions préliminaires de façon à préserver une certaine liberté de ton, tant vis à vis du gouvernement que des formations politiques. De fait, les interventions en séance publique, placées sous le regard des médias, peuvent être davantage contraintes par le poids de l’opinion et les logiques partisanes. Au contraire, l’esprit de « club », souvent évoqué pour les réunions de commissions, est perçu comme favorisant les échanges et la sérénité des débats.

Mais le choix pour la publicité peut aussi être lié aux règles fondamentales de la procédure législative en fonction du rôle imparti aux commissions. Ainsi, le fait que le débat en séance ait lieu sur le texte adopté en commission, ce qui revient à faire de celles-ci un acteur prépondérant du travail législatif, incite à assurer la transparence de leurs délibérations, la séance publique devenant davantage le lieu des déclarations d’intention.

Il reste que la distinction ainsi mise en évidence tend à devenir plus floue dès lors que les missions des commissions se diversifient. En particulier, le fait que celles-ci assurent de manière croissante, à côté de leurs prérogatives législatives, des missions de contrôle et d’évaluation conduit à promouvoir l’ouverture au public et à la presse. Cette pratique, qui est la règle dans les parlements de tradition britannique, se généralise dans certaines autres assemblées. Tel est particulièrement le cas en France où les commissions, qui disposent aux termes des Règlements de la faculté d’assurer la publicité de leurs travaux, y recourent très souvent pour les auditions auxquelles elles procèdent dans le cadre des activités de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, voire même du travail législatif.