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Chapitre VI. La procédure législative

Synthèses

par Rémi Schenberg

Avec le présent chapitre consacré à la procédure législative, le recueil sur la vie des assemblées parlementaires dans l’espace francophone entre « dans le vif du sujet ».

De fait, si une assemblée parlementaire est une institution, concernée par les questions de structure, d’organisation et de fonctionnement, elle est surtout, par essence, une enceinte délibérative dont le rôle est de voter le loi et de contrôler l’action du gouvernement, ces deux fonctions participant de démarches et finalités différentes : dans le premier cas, il s’agit d’un processus conduisant à une décision, à savoir l’adoption d’un texte normatif, alors que dans le second, est en cause un mécanisme d’analyse, de questionnement, voire d’enquête, en vue de l’expression et de la formalisation d’une opinion à l’intention du parlement lui-même ou de l’opinion publique.

S’inscrivant dans une logique de prise de décision, les procédures législatives mises en œuvre dans les parlements de l’espace francophone, objets du présent chapitre, partagent un certain nombre de caractéristiques communes. De fait, on y retrouve une phase d’étude préalable, de préparation ou d’instruction, confiée à un organe à composition collégiale, mais restreinte, une phase d’échanges et de débats, en formation élargie et publique, puis une phase de décision, ce triptyque étant plus ou moins dédoublé selon que le parlement soit monocaméral ou bicaméral.

Pour autant, ce processus général s’accommode de différences, parfois majeures, dans la manière dont il est conduit. Plusieurs facteurs y concourent :

- La nature et les caractéristiques de chacun des régimes parlementaires. De ce point de vue, le parlementarisme du type britannique, tout particulièrement, se distingue une nouvelle fois en conférant un rôle prépondérant au travail législatif effectué en commission, rôle allant bien au-delà de la simple fonction de préparation ou d’instruction de l’examen effectué par la formation plénière. Il faut y voir, notamment, une nouvelle illustration de l’essence même de ce type de régime parlementaire dans lequel le gouvernement constitue la branche exécutive du groupe ou parti majoritaire et où l’équilibre démocratique se structure davantage dans les rapports entre majorité et opposition que dans ceux entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif.

- L’existence d’une ou deux chambres participant au processus législatif, qui influe de manière décisive sur la procédure parlementaire puisque, dans un parlement bicaméral, l’adoption du texte de loi suppose, à des degrés divers il est vrai, un accord entre les deux chambres, ce qui suppose des allers-retours, éventuellement des procédures de concertation ou d’arbitrage et, parfois, une régulation du droit d’amendement.

- Le caractère plus ou moins contraignant des règles de procédure et leur degré d’adaptabilité. De fait, dans les assemblées de tradition parlementaire « continentale », la procédure législative est souvent fermement encadrée par les règlements internes, voire par des textes à valeur constitutionnelle. Le parcours des projets et propositions de loi, l’organisation des débats et le rôle de chacune des instances parties prenantes y sont clairement définis, même si la pratique y trouve une place. Dans les parlements du type britannique, où l’influence de la Common Law s’exerce aussi sur le droit parlementaire, la procédure législative, bien que le plus souvent balisée par des règles écrites, est cependant évolutive et s’adapte, au gré des nécessités et des circonstances, en application du privilège des assemblées législatives de définir leurs propres règles de procédure.

Au-delà de ces observations générales, force est de constater que l’exercice de synthèse des procédures parlementaires mises en œuvre dans les assemblées francophones se heurte, en l’état, à certaines limites.

Tout d’abord, et bien plus encore que l’organisation et le fonctionnement des assemblées, la procédure législative est une matière vivante, non figée, qui repose sur des textes, mais aussi et surtout sur un esprit et une pratique. Dans les assemblées d’influence anglo-saxonne, les questions qui concernent la procédure législative alimentent une grande partie des décisions rendues quotidiennement par les speakers et présidents et les textes ne valent qu’à l’aune des interprétations auxquelles ils donnent lieu. À un degré moindre il est vrai, pratique et doctrine occupent également une place significative dans les parlements continentaux. Ce constat n’est guère surprenant car pratique et doctrine sont, au quotidien, les outils qui permettent à ces instances plurielles et collégiales exerçant un pouvoir politique, par essence relatif, de « vivre » avec les rigidités du droit écrit.

Dans ces conditions, on comprendra que proposer une synthèse se référant aux seules dispositions règlementaires est un exercice qui risque fort de s’avérer quelque peu vain, sauf à se contenter d’un inventaire recensant les dispositions régissant le dépôt des textes, le droit d’amendement, les règles de votation….A cet égard, on regrettera que quelques unes des contributions transmises se bornent à reproduire les articles correspondants des règlements internes tout en restant muettes sur les pratiques auxquelles elles donnent lieu.

Ensuite, au cours des derniers mois, deux parlements, parmi les plus représentatifs des deux « modèles types » de parlementarisme ayant cours au sein de l’espace francophone, ont connu de profondes mutations.

Le Parlement français a ainsi été très largement concerné par la réforme constitutionnelle de l’été 2008 et ses textes d’application. À la suite, les Règlements des deux assemblées ont été profondément remaniés, notamment en ce qui concerne la procédure législative, qu’il s’agisse du rôle des commissions, de l’organisation du débat, des conditions de dépôt des amendements….La discussion du texte en séance publique sur la base, la plupart du temps, du texte adopté en commission et, à l’Assemblée nationale, le « temps législatif programmé » qui conduit à fixer à l’avance un temps global de débat, non seulement pour les discussions générales, mais aussi pour la discussion des articles et amendements, ont été mis en œuvre depuis peu, de sorte que le recul est encore insuffisant pour mesurer les conséquences de ces bouleversements réglementaires.

De son côté, l’Assemblée nationale du Québec a également procédé à un important exercice de réforme parlementaire qui s’est achevé au printemps 2009. Ici encore, certains des axes de la réforme ont affecté la procédure législative, que ce soit la définition des circonstances pouvant mettre en cause la responsabilité du gouvernement, la modification du calendrier des travaux, le remplacement de la motion de suspension des règles de procédures, appelé « bâillon », qui permettait jusqu’alors au gouvernement d’interrompre le processus législatif pour accélérer l’adoption de ses projets….. Autant de nouvelles dispositions, la plupart mises en œuvre à l’automne 2009, pour lesquelles le retour d’expérience ne permet pas encore de juger de leurs effets.

Dans ce contexte, plutôt que de s’attarder sur les modalités techniques des différentes procédures législatives, on s’attachera à mettre en exergue certaines caractéristiques fondamentales par lesquelles se distinguent et se regroupent les assemblées francophones. On en distinguera quatre :

-  Le traitement des différents types d’initiatives : quelle procédure selon qu’elles sont d’origine gouvernementale ou parlementaire ?
-  L’organisation générale de la procédure et son déroulement séquentiel : parcours législatif « par étapes » spécialisées ou parcours « en continu » ?
-  Le rôle législatif des commissions : organes de préparation et d’instruction du travail de la séance plénière ou organes restreints d’élaboration de la norme législative ?
-  La place du bicaméralisme dans la procédure législative : bicaméralisme égalitaire ou bicaméralisme inégalitaire ?

1.- UN TRAITEMENT DIFFÉRENCIÉ POUR LES INITIATIVES PARLEMENTAIRES

Dans tous les régimes parlementaires, le droit d’initiative législative est reconnu, d’une part, au Gouvernement et, d’autre part, aux parlementaires qui l’exercent par des propositions de loi et par voie d’amendements.

Il reste que la distinction a priori naturelle entre initiative législative parlementaire et initiative législative gouvernementale ne va pas nécessairement de soi ; à tout le moins, elle peut avoir une portée variable.

De fait, rappelons que dans les parlements du type britannique, il n’y a pas de séparation véritablement étanche entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, le gouvernement ressortissant des deux. En théorie, il n’existe donc pas de réelle dichotomie juridique entre un projet selon qu’il émane du gouvernement ou d’un parlementaire. Tout député peut présenter un projet de loi, qu’il soit membre du gouvernement ou non, sachant que deux conditions doivent être réunies pour qu’un projet parrainé par un « simple » député ou sénateur puisse prospérer : il faut, d’une part, qu’il n’enfreigne pas le « privilège financier de la Couronne » qui réserve l’initiative des dépenses au gouvernement et, d’autre part, que le gouvernement accepte, voire encourage, sa discussion.

À la Chambre des communes, les initiatives des députés qui ne sont pas ministres doivent, en principe, être débattues dans le cadre de la rubrique « affaires émanant des députés ». Conjugué à la structure de la procédure (cf. infra), ce « compartimentage » inaugure un parcours hasardeux. En tout état de cause, un député qui réussi à faire adopter un projet dans une des chambres devra trouver un parrain dans l’autre pour l’y porter. À l’Assemblée nationale du Québec, les députés de la majorité doivent compter sur la bienveillance du gouvernement pour faire appeler les projets dont ils ont donné avis. Pour ce qui la concerne, un membre de l’opposition – sauf à convaincre également le gouvernement - peut présenter son projet dans le cadre de la séance hebdomadaire consacrée aux affaires de l’opposition, mais les chances d’aboutir étant pour le moins limitées, cette faculté n’est que très rarement utilisée.

Les autres parlements francophones établissent, en revanche, une distinction juridique entre projets d’initiative gouvernementale et ceux d’initiative parlementaire qui se traduit, en premier lieu, par une différence sémantique : les premiers sont appelés communément « projets de loi » alors que les seconds constituent les « propositions de loi », sauf au Cap-Vert qui opte pour une dénomination exactement inverse.

D’une manière générale, cette distinction n’emporte cependant de conséquences qu’au regard de l’introduction ou du dépôt du projet. Une fois cette étape franchie, la procédure législative suit son cours de manière indifférenciée. Une différence notable existait en France avant les récentes réformes de la procédure législative et concernait la portée du travail effectué en commission, cette dernière n’adoptant que des amendements sur les projets du gouvernement, alors qu’elle adoptait un texte soumis à la séance plénière pour les propositions de loi. On verra plus loin que cette distinction n’est plus d’actualité.

Au chapitre de l’introduction des initiatives parlementaires, les parlements se révèlent, à l’examen, plus ou moins « accueillants ».

Certains d’entre eux soumettent les propositions de lois à une complexe procédure de prise en considération.

Ainsi, au Luxembourg, la proposition est d’abord envoyée à la Conférence des Présidents qui se prononce sur sa recevabilité. Dans l’affirmative, elle est transmise au conseil d’État et au gouvernement qui doivent donner un avis. La proposition est ensuite présentée en séance plénière pour être, le cas échéant, prise en considération. L’avis de la Chambre donné à cette occasion est de nouveau transmis au Conseil d’État et, sur cette base, la proposition peut être définitivement prise en considération. On comprendra que, dans ce contexte, les propositions de loi soient peu nombreuses…

En Suisse, la proposition de loi doit faire l’objet, avant son dépôt, d’un examen préalable par la commission compétente du Conseil d’où elle émane. Si l’avis est positif, la proposition doit également recevoir l’aval de la commission de l’autre Conseil.

En Andorre, la proposition ne peut prospérer que si elle a été prise en considération par l’Assemblée plénière.

Trois parlements soumettent, d’une manière ou d’une autre, les propositions de leur membres à un avis de l’exécutif : au Burkina Faso, elles doivent ainsi être délibérées en Conseil des ministres, mais peuvent toutefois être déposées si celui-ci ne s’est pas prononcé dans les deux mois ; au Sénégal, elle sont transmises au Président de la République qui apprécie leur recevabilité ; au Tchad, elles sont adressées au gouvernement qui doit rendre son avis dans les vingt-et-un jours.

Dans les autres parlements, le dépôt est a priori libre, sous réserve, néanmoins, de certaines conditions de recevabilité.

En France, les propositions de lois, à la différence des projets, sont dispensées d’avis préalable du Conseil d’État et d’études d’impact.

En revanche, une délégation du Bureau vérifie leur recevabilité financière en application de l’article 40 de la Constitution. On notera que les conditions d’appréciation de la recevabilité financière des propositions sont, de tradition, assez compréhensives, la mention d’une recette nouvelle pour compenser l’éventuelle dépense ou la création d’une charge étant jugée suffisante. La seconde exigence porte sur la recevabilité législative, c’est-à-dire la vérification du caractère législatif et non réglementaire de la proposition. Celle-ci n’est pas systématiquement contrôlée d’office, mais peut être soulevée à tout moment. Ici aussi, la souplesse prévaut et l’exercice de cette faculté demeure rarissime. Au total, en dépit de règles apparemment restrictives, l’initiative parlementaire n’est pas contrariée. À cet égard, dans le but de renforcer la crédibilité de ces initiatives, la récente réforme du Règlement prévoit que, désormais, le Président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose.

Pour s’en tenir à la seule lecture des procédures, une attitude globalement compréhensive à l’égard des initiatives parlementaires semble également de mise, notamment, au Gabon, à Madagascar, au Maroc.

2.- DES PROCÉDURES LÉGISLATIVES EN ÉTAPES SPÉCIALISÉES OU EN CONTINU.

Il est possible de distinguer, d’une part, les parcours législatifs rythmés par des étapes successives et spécialisées à l’occasion desquelles le parlement est invité à se prononcer sur des phases spécifiques de procédure et, d’autre part, les parcours législatifs au cours desquels un projet de texte législatif « entre » dans une assemblée pour en « ressortir », normalement, adopté. Dans ce domaine, la ligne de partage est très nette : elle correspond très exactement à la summa divisio entre parlements du type britannique, qui pratiquent une procédure « en étapes » et parlements continentaux, adeptes de la procédure « en continu ».

21.- Un parcours législatif scandé par des étapes dédiées à une phase particulière de procédure.

Dans toutes les assemblées législatives qui s’inspirent du modèle britannique, un projet de loi, avant de devenir une loi adoptée, doit franchir plusieurs étapes spécialisées, donnant lieu le plus souvent à un vote, consacrées à une phase bien précise de la procédure législative. Ce principe général s’accommode de différences sur le nombre des étapes, sur le rôle qui leur est imparti, ou sur les délais requis pour passer de l’une à la suivante. Il est également susceptible de varier selon qu’est en cause un projet de loi public, qui concerne l’intérêt général, ou un projet de loi privé qui traite d’intérêts particuliers ou privés. Dans le cadre de cette synthèse, on se bornera à évoquer les premiers, puisque les seconds n’existent pas dans les autres parlements. En revanche, le schéma général est identique que l’on ait affaire à un projet d’origine gouvernementale ou à un projet d’initiative parlementaire, étant entendu que le franchissement de chaque étape est soumis à l’approbation du gouvernement qui, dans le système britannique, décide quelles affaires inscrites au feuilleton sont débattues.

D’une manière générale, les premières phases, appelées lectures ou étapes, précèdent l’envoi en commission et sont consacrées à l’approbation du principe et de l’objet du projet, les étapes intermédiaires au travail en commission pour l’étude des articles du projet et au rapport et les étapes finales à l’adoption du rapport de la commission, puis du texte lui-même. Chaque étape est en principe sanctionnée par l’adoption d’une motion qui permet le passage à l’étape suivante. Chacune des étapes ou lectures obéit à des règles de procédures particulières, en ce qui concerne l’organisation des débats ou le type de motion susceptible d’y être présenté ou débattu.

Ainsi, à la Chambre des communes du Canada, le processus législatif s’articule, théoriquement, autour des étapes suivantes : avis de présentation et inscription au Feuilleton, élaboration d’un projet par un comité (une commission), dépôt et première lecture, renvoi éventuel à un comité avant la deuxième lecture, deuxième lecture et renvoi à un comité, étude en comité, rapport, puis troisième lecture, c’est-à-dire adoption.

Il s’agit d’un schéma théorique : plusieurs étapes peuvent être franchies le même jour si la Chambre le décide en cas d’urgence ; toutes les étapes doivent être franchies, mais pas forcément dans le même ordre, notamment en ce qui concerne la saisine des comités qui peut intervenir à plusieurs moments.

À l’Assemblée nationale du Québec, le processus d’étude d’un projet de loi s’organise autour de cinq étapes successives, dont la dénomination traduit clairement l’objet : la présentation du projet, l’adoption de son principe, l’étude détaillée en commission, la prise en considération du rapport de la commission et, enfin, l’adoption. Chacune des étapes donne lieu à un vote et se tient normalement lors d’une séance distincte, sauf si l’étude détaillée du projet est renvoyée à l’Assemblée elle-même siégeant en commission plénière (textes très techniques).

C’est au cours de l’adoption du principe qu’ont lieu les débats « politiques » en séance plénière sur le fond du projet de loi. C’est d’ailleurs à cette occasion que peuvent être présentées des motions dilatoires telles que les motions de report ou celles de scission. Dans ce schéma, les parlementaires ne peuvent proposer des amendements qu’à l’occasion de l’examen détaillé des articles en commission – on y reviendra ci-après – et, dans des conditions restrictives, lors de l’étape de l’adoption.

En dehors des autres assemblée législatives canadiennes appartenant à l’espace francophone, l’Assemblée nationale de Maurice est le seul autre parlement à fonctionner selon cette logique d’étapes spécialisées. Au vu de la contribution transmise par cette assemblée, le dispositif apparaît cependant plus « ramassé ». Le dépôt correspond à la première lecture, la discussion générale à la deuxième lecture, à l’issue de laquelle le projet est examiné par la commission, étant entendu que des amendements ont pu être examinés au cours de la discussion générale. La dernière étape est celle de l’adoption du projet de loi.

22.- Un parcours législatif en continu du dépôt à l’adoption du projet de loi

L’organisation générale de la procédure la plus courante dans les parlements francophones, rencontrée dans tous les autres parlements ayant adressé leur contribution, se traduit par un processus législatif continu en vertu duquel un projet de loi – ou une proposition – est introduit devant la chambre, le dépôt, puis est envoyé à une commission pour y être examiné dans sa globalité, est ensuite inscrit à l’ordre du jour et discuté en séance plénière pour y être de nouveau examiné dans sa globalité, séances à l’issue desquelles le texte est adopté. Lorsque le parlement est bicaméral, le texte est alors envoyé à l’autre chambre qui reproduit, en principe, la même séquence.

Cette façon de faire caractérise les parlements de type « continental », sous l’influence de la procédure législative française qui repose sur un ordonnancement somme toute assez simple. Dans la mesure où elle inspire largement bon nombre d’autres parlements, on en rappellera brièvement les principaux traits en ce qui concerne les initiatives gouvernementales, en tant qu’ils singularisent cette procédure par rapport au modèle britannique.

Précédé de l’avis du Conseil d’État, au terme duquel le texte devient un projet de loi stricto sensu, le dépôt est l’acte introductif du projet devant le parlement. Il est effectué auprès de l’une ou l’autre des chambres, sauf pour les lois de finances et de financement de la sécurité sociale qui sont prioritairement examinées par l’Assemblée nationale, le Sénat étant, en revanche, prioritaire pour les lois concernant principalement les collectivités locales.

Une fois déposé, le projet est envoyé pour examen à une commission permanente, la règle, ou spéciale, l’exception, saisie au fond. Celle-ci désigne un rapporteur qui prépare un rapport, examiné par la commission selon des règles semblables, quoique moins formelles, à celles applicables en séance plénière. Cet examen donne ainsi lieu à un examen général et un examen détaillé des articles du projet de loi.

Intervient ensuite la discussion en séance publique qui s’articule elle-même en deux phases consécutives, de nouveau examen général – où peuvent être présentées les motions de procédure - et examen détaillé des articles au cours duquel sont examinés et votés chacun des articles et des amendements qui s’y rapportent. Comme on le constate, des amendements, émanant du gouvernement ou des parlementaires, peuvent être présentés, sous réserve de recevabilité, en commission et/ou en séance publique.

Le processus s’achève par l’adoption de l’ensemble du projet de loi.

La procédure ainsi rapidement décrite est celle de droit commun. Les règlements des assemblées prévoient également des procédures particulières pour certains textes tels que les lois d’approbation de traités, les lois organiques….

Largement répandu, et tout particulièrement dans les parlements africains où l’influence constitutionnelle française est particulièrement prégnante, ce modèle connaît ici ou là des aménagements.

Ainsi, au Cap-Vert, la discussion en séance publique est limitée à la discussion générale, les articles étant examinés en commission. La même situation prévaut à la Chambre des Députés luxembourgeoise où, en pratique, la discussion en séance publique se limite à la discussion générale en raison des règles restrictives entourant l’examen des amendements en séance publique (cf. infra).

Enfin, quelques parlements organisent une procédure assimilable à une prise en considération du texte – c’est-à-dire une sorte d’adoption du principe du projet précédant la discussion détaillée. Tel est le cas au Parlement de la République et du Canton du Jura où le passage à la discussion des articles n’est effectif que s’il n’est pas combattu à l’issue de la discussion générale et à l’Assemblée de Macédoine où, à la lecture de la contribution, le passage à l’examen détaillé doit donner lieu à une décision expresse.

Le Parlement jurassien fait état de deux autres spécificités méritant d’être évoquées, mais dont il est difficile de mesurer la portée : d’une part, l’examen des projets et propositions en commission donne lieu à une navette entre les groupes politiques ; d’autre part, les textes font l’objet de deux lectures par l’assemblée législative.

3.- DES COMMISSIONS INSTANCES DE TRAVAIL PRÉPARATOIRE À LA SÉANCE PLÉNIÈRE OU ORGANE PRÉPONDÉRANT DE LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE.

Dans aucun parlement, le projet ou la proposition de texte législatif n’est soumis d’emblée à la séance plénière. Partout, le travail en séance a été préalablement préparé, instruit, par un organe certes collégial mais plus restreint, qu’il s’agisse d’une des commissions permanentes ou d’une commission ad hoc. Le plus souvent, le travail de la commission est facilité par la désignation d’un de ses membres à qui est confié, en amont de l’examen par la commission elle-même, un mandat d’analyse et d’instruction, voire d’animation du travail et qui se traduit par l’élaboration d’un rapport.

Cette organisation générale, qui, somme toute, caractérise tout processus de prise de décision par une instance collégiale, dissimule cependant des situations très contrastées parmi les parlements francophones.

À un extrême, certaines de leurs commissions sont peu ou prou « cantonnées » à un rôle de préparation du travail législatif effectué par la suite en séance plénière. Sur le plan de la procédure, cette approche se traduit, notamment, par des réunions de commission à huis-clos et par des débats en séance plénière sur la base du texte initial du projet. À l’autre extrême, des commissions sont érigées en acteur prépondérant du travail législatif, avec pour corollaire la publicité de leurs débats, la présence du gouvernement à leurs réunions, la prise en considération du texte qu’elles adoptent par la séance plénière, celle-ci étant invitée, en droit et en fait, à entériner les décisions de la commission. Au milieu, un certain nombre de parlements ont adopté des postures intermédiaires en reconnaissant à leurs commissions un rôle législatif de premier plan, tout en conservant à la séance plénière un rôle décisif en dernier ressort. Cette approche gagne du terrain, notamment, avec les récentes réformes adoptées en Roumanie et, de manière plus spectaculaire encore, en France, au travers de la révision constitutionnelle de l’été 2008 et de la réforme des Règlements des assemblées mises en œuvre depuis.

31.- Des commissions reconnues comme l’enceinte législative prépondérante et décisionnelle.

Dans les parlements du type britannique, les commissions sont l’enceinte dédiée et prépondérante au sein desquelles s’effectue le travail législatif.

À bien des égards, dans ce schéma, les commissions parlementaires constituent en fait l’organe normal d’élaboration technique, mais aussi politique, des textes législatifs. S’agissant des parlements francophones, s’inscrivent donc dans cette tradition, moyennant parfois des pratiques nuancées, l’Assemblée nationale du Québec, la Chambre des communes et le Sénat du Canada, ainsi que les autres législatures canadiennes membres de l’APF.

Le premier caractère distinctif de cette option est, comme on l’a vu, l’organisation d’une étape dédiée à l’examen du projet de loi en commission. À la Chambre des communes, l’intervention du comité se produit, généralement, après la seconde lecture, à l’Assemblée nationale du Québec après l’adoption du principe du projet de loi.

La marge de manœuvre des comités ou commission est considérable, sous réserve de respecter le principe du projet de loi qui a été adopté par la chambre à l’étape précédente. Les amendements adoptés sont directement intégrés au texte du projet qui constitue, en pratique, le cœur du rapport de la commission.

Le moment clef de cette procédure est sans doute qu’à l’étape du rapport (Parlement fédéral du Canada) ou de la prise en considération du rapport de la commission (ANQ), l’Assemblée législative étudie le rapport dans son ensemble et non pas article par article, de sorte qu’en l’absence d’amendements, le débat reste limité à des observations générales et peut être très rapide. Il est vrai qu’à cette étape, la procédure autorise néanmoins, dans des conditions en fait assez restrictives, le dépôt de nouveaux amendements. Si tel est le cas, il n’y a pas ipso facto réouverture de l’examen détaillé : le président sélectionne les amendements qu’il juge recevable à cette phase de la procédure, les regroupe et en organise les modalités de discussion. Au Québec, le président regroupe et met aux voix en bloc les amendements.

Le rôle prépondérant des commissions se manifeste également dans leurs modalités de travail.

En premier lieu, les réunions sont toujours publiques, puisque, en définitive, c’est là que s’effectue le travail législatif. En deuxième lieu, le gouvernement est toujours étroitement associé au travail des commissions. Il s’agit à la fois de l’illustration de la nature de ces régimes parlementaires, mais aussi de la conséquence du rôle législatif des commissions, le gouvernement venant y défendre son projet – la fonction de rapporteur n’existant pas dans ces systèmes. Au Québec, le ministre parrain d’un projet de loi est, de droit, membre de la commission pendant la durée du mandat de celle-ci sur ce texte. Dans les comités de la Chambre des communes, le ministre est entendu comme témoin, étant entendu que les intérêts du gouvernement sont défendus, au jour le jour, par les secrétaires parlementaires des ministres. En troisième lieu, c’est au sein des commissions que s’opèrent les négociations entre majorité et opposition et, autant que faire se peut, la recherche d’un relatif consensus qui caractérisent souvent l’élaboration de la loi. En sens inverse, c’est aussi en commission que se pratique l’obstruction – le filibustering – ou que sont simplement « enterrés » des projets contestés. En définitive, les commissions parlementaires concentrent et épuisent le débat législatif, la séance plénière n’offrant par la suite qu’un cadre pour des interventions politiques ou conclusives.

Sans aller aussi loin dans la reconnaissance du rôle décisif des commissions parlementaires, l’Assemblée nationale du Cap-Vert en adopte certains avatars. Ainsi, pour la plupart des projets de loi, la discussion en séance plénière se limite à une discussion générale, l’examen article par article étant fait par les commissions permanentes.

32.- Des commissions conçues comme des organes de préparation du travail de la séance plénière.

Ainsi définies, les commissions constituent l’enceinte de préparation et d’instruction du travail de plein exercice qui sera ensuite effectué par la chambre en séance plénière.

Selon cette approche, les moyens juridiques mis à leur disposition et leurs méthodes de travail concourent à mettre en place un système dans lequel les commissions sont essentiellement chargées d’éclairer le travail de l’assemblée, de le faciliter, en d’autres termes de le « débroussailler », étant entendu que, formellement, la séance plénière procédera à son tour à l’examen détaillé du projet de loi et que le pouvoir décisionnel lui appartient en dernier ressort. Ainsi conçue, la séance plénière reste l’organe d’élaboration technique et politique de la norme législative, les commissions étant un acteur parmi les autres, certes important, du processus législatif.

Cette lecture juridique ne doit pas cependant conduire à sous-estimer exagérément le rôle effectif que jouent les commissions. De par leur composition, leur méthode de travail, les prérogatives qui leurs sont reconnues par les textes et la pratique, les commissions n’en constituent pas moins l’enceinte privilégiée de l’échange, de la médiation et de la négociation.

Ce sont les parlements influencés par la pratique parlementaire française qui sont les plus représentatifs de cette tradition. Il convient de souligner que, pour ce qui la concerne, la France a récemment profondément réformé ses institutions dans une direction qui conduit à l’éloigner significativement de ce modèle, comme on le verra ci-après. On rappellera cependant les grands traits de la procédure en vigueur jusqu’alors, puisqu’elle est encore de mise dans les autres parlements qui partagent cette conception.

En 1958 les constituants français, en réaction aux pratiques des IIIème et IVème République, ont cherché à « brider » les commissions parlementaires permanentes, alors considérées comme ayant tendance à entraver l’action gouvernementale. Pour l’essentiel, cette démarche s’est traduite par une limitation du nombre des commissions permanentes, une augmentation corrélative de leurs effectifs et l’examen détaillé du projet en séance publique à partir du texte du gouvernement. Les textes prévoyaient, en outre, que le droit commun était le renvoi des projets à une commission ad hoc, mais la pratique a rapidement redonné la priorité aux commissions permanentes, la constitution de commissions spéciales devenant exceptionnelle.

Concrètement, les commissions désignent un rapporteur en leur sein, par hypothèse issu des rangs de la majorité, à de rares exceptions près. Le travail du rapporteur et celui de la commission ne sont normalement pas publics. Le gouvernement ne participe habituellement pas aux travaux de la commission. Les Règlements des assemblées françaises prévoient cette possibilité mais, jusqu’à très récemment (cf. infra), cette pratique était rarissime. La commission examine les amendements déposés par ses membres ou par les autres parlementaires, mais des amendements pourront également être déposés ou redéposés en séance. La commission adopte des amendements, mais ceux-ci ne sont pas intégrés au texte du projet de loi (ils le sont, en revanche, comme on l’a vu, au texte de la proposition d’origine parlementaire).

En séance publique, le texte servant de base à la discussion est donc le projet initial déposé par le gouvernement. Ici réside ce qui est souvent considéré comme la clef de voûte du positionnement des commissions dans la procédure législative, puisque, dans ce schéma, la commission doit s’efforcer de faire valoir son point de vue, les amendements adoptés par la commission venant en concurrence avec ceux déposés par les députés ou le gouvernement.

Cette distinction, fondamentale sur le plan du principe, produit naturellement des effets institutionnels et politiques. Parmi ces derniers, on peut évoquer le fait que la séance plénière, du fait de son caractère d’enceinte politique publique, reste le lieu privilégié de l’obstruction dont le débat législatif constitue le support. Toutefois, elle n’est pas nécessairement contradictoire avec la reconnaissance, en fait et en droit, d’un rôle législatif des commissions important. Ainsi, le Règlement de l’Assemblée nationale française reconnaissait-il aux amendements du gouvernement et de la commission saisie au fond une priorité de discussion sur les autres amendements ayant le même objet. Par ailleurs, il est indéniable que les amendements présentés par la commission, le plus souvent négociés en amont avec le gouvernement par le rapporteur, bénéficient d’un poids et d’une « crédibilité » particuliers, comme en atteste leur taux d’adoption élevé.

Au total, dans ce modèle, sans être l’organe dédié, décisionnel et quasi exclusif du processus d’élaboration de la loi, les commissions permanentes sont souvent en mesure d’en devenir un des acteurs les plus dynamiques.

Actuellement, bon nombre de parlements francophones se rattachent très directement à ce modèle. Il en est ainsi, notamment, des assemblées législatives du Burkina Faso, du Cambodge, du Gabon, de Madagascar, du Maroc, du Sénégal, du Tchad, de la Tunisie et du Val d’Aoste.

33.- Des commissions consacrées comme un acteur central, mais pas exclusif, du processus législatif.

À mi-chemin entre les deux modèles types décrits ci-avant, d’autres parlements francophones accordent à leurs commissions parlementaires un statut « mixte », en vertu duquel il leur est reconnu un rôle central, mais partagé, dans le processus d’élaboration de la loi, la séance plénière donnant encore lieu, à des degrés divers, à un examen détaillé du projet et restant l’organe compétent techniquement et politiquement en dernier ressort.

Pour l’essentiel, ce modèle intermédiaire conduit à donner la primauté au texte élaboré en commission, que celui-ci soit soumis à la séance plénière ou que celle-ci ne soit invitée à se prononcer que sur les seules modifications apportées par la commission. Ce choix procédural emporte de nombreux effets. En particulier, il structure le travail parlementaire, puisqu’il conduit à faire « remonter » en commission l’essentiel du débat législatif et à placer le texte de la commission en position de force. Pour autant, la séance plénière conserve un droit d’évocation qui va au-delà de ce que l’on observe dans les parlements du type britannique. Cette configuration apporte une relative souplesse dans la gestion du processus législatif, notamment parce qu’elle permet de l’étaler dans le temps. C’est aussi une formule adaptée aux cultures politiques moins portées sur la négociation et le consensus, dans la mesure où elle permet à l’opposition de porter ses propositions plus largement sur la place publique. Il n’est pas exagéré de dire que, dans ce schéma, commission et séance plénière partagent la responsabilité de l’élaboration de la norme.

Cette approche est, traditionnellement, celle des parlements les moins influencés par le droit parlementaire français. On observe néanmoins des nuances dans sa mise en œuvre et dans sa portée.

Au Luxembourg, le modèle s’est imposé davantage par la pratique que du fait des textes. De fait, le Règlement prévoit une discussion des articles en séance plénière pouvant donner lieu à amendements. Toutefois, si la chambre le décide, les amendements peuvent être renvoyés au Conseil d’État ou à une commission, ce qui en suspend la discussion. Il en résulte que la possibilité de débattre des amendements en séance n’est presque pas utilisée et qu’en pratique, la présentation du rapport de la commission est suivie de la seule discussion sur le principe du projet.

En Hongrie, c’est le texte de la commission qui est soumis à la chambre.

Dans les assemblées suisses, les amendements de la commission se substituent au texte du gouvernement et ils sont implicitement adoptés s’ils ne sont pas combattus. Cependant, la discussion en séance donne lieu à l’examen d’autres amendements.

Depuis 2001, les assemblées roumaines ont adopté des dispositions tendant à concentrer le débat législatif au sein des commissions spécialisées. Une seconde réforme est venue spécialiser les chambres, puisque si les projets sont débattus dans les deux assemblées, chacune dispose du pouvoir décisionnel dans des domaines particuliers. Dans ce cadre, la primauté des commissions en cas de modification du projet est assurée par le fait qu’il est d’abord demandé à la chambre si elle souhaite faire des observations sur ces modifications et, si tel est le cas, les débats ne concernent que celles-ci.

Comme on l’a vu, aux termes de la réforme constitutionnelle et des modifications des Règlements des assemblées, la France a modifié en profondeur sa procédure législative, avec pour objectif d’établir les commissions permanentes comme acteur central du processus d’écriture de la loi. Plusieurs mesures y concourent.

Tout d’abord, le nombre des commissions peut être porté à 8, choix opéré par la seule Assemblée nationale. Cette faculté revient sur un des verrous fréquemment considéré comme bridant les commissions.

Ensuite, l’influence des organes parlementaires étant, dans les faits, proportionnelle au temps dont ils disposent pour mener à bien leur mandat, la Constitution prévoit désormais un délai incompressible entre la discussion en séance et le dépôt d’un projet ou d’une proposition, ce qui garanti de facto aux commissions un créneau suffisant pour examiner le texte.

Il reste que la réforme la plus emblématique concerne la remise en cause de la règle selon laquelle il appartenait à la commission de défendre ses amendements en séance publique, la Constitution prévoyant désormais que la discussion des projets de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission. Dorénavant, le texte de la commission sert de base à la discussion, gouvernement et députés ayant la faculté de proposer des modifications, ce principe ne connaissant que des exceptions limitées (projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale).

Corollaire de leur nouvelle importance, la publicité des travaux des commissions est renforcée : les auditions des rapporteurs sont désormais ouvertes à l’ensemble des membres de la commission, donc, naturellement, à l’opposition ; chaque commission peut organiser la publicité de toutes ses réunions.

Enfin, confortant la nouvelle place des commission dans le processus législatif, le Conseil constitutionnel a jugé que le fait que la discussion en séance porte sur le texte adopté par la commission implique que le gouvernement puisse participer aux travaux des commissions consacrés à l’examen des projets et propositions de loi, ainsi que des amendements correspondants et assister aux votes destinés à arrêter le texte sur lequel portera la discussion en séance.

Les premiers mois d’application de ces nouvelles dispositions ne permettent évidemment que de dresser un bilan provisoire, mais force est de constater que des évolutions sont perceptibles : la densification de la participation aux réunions, la présence du gouvernement, le poids des amendements qu’elles adoptent attestent d’un déplacement du centre de gravité du débat législatif vers les commissions. Restent posées, à ce stade, deux questions. La première est celle de la gestion du temps parlementaire dont on a déjà dit qu’il constituait, à bien des égards, le « nerf de la guerre », autrement dit celle de la difficulté à concilier des responsabilités et prérogatives accrues dans le processus législatif avec un agenda et un ordre du jour toujours plus chargé. La seconde est celle de la publicité des débats tenues en commissions : un rôle majeur dans le travail législatif fait apparaître, en filigrane, une exigence de transparence accrue, concrètement la faculté pour tout citoyen de suivre ces débats, à l’instar de ce qui existe pour les débats en séance plénière.

4.- DU BICAMÉRALISME ÉGALITAIRE AU BICAMÉRALISME INÉGALITAIRE.

Dans le cadre de cette synthèse, on n’évoquera pas les aspects institutionnels et organisationnels du bicaméralisme, déjà abordés dans un chapitre précédent. On s’attachera, en revanche, à ses interactions avec la procédure législative.

Parmi les vingt-quatre parlements objets de l’étude, treize sont bicaméraux.

L’existence de deux chambres est justifiée par des préoccupations institutionnelles diverses, mais, dans tous les cas, la chambre haute est associée au processus législatif moyennant un mécanisme d’allers-retours entre les assemblées, traditionnellement appelé, dans les parlements de tradition française, la « navette ». La différence entre les parlements tient au degré de cette association : si dans certains cas, peu nombreux, les deux chambres collaborent de manière égalitaire – ou quasi égalitaire - au processus législatif, la majorité des systèmes bicaméraux reposent sur une répartition inégalitaire des tâches, que ce soit en raison de compétences rationae materiae différentes ou, plus souvent, d’une primauté décisionnelle accordée à la chambre basse.

Il est, néanmoins, une constante : dans tous les parlements, la chambre basse dispose de l’initiative financière et c’est devant elle que sont prioritairement déposées les lois de finances, les lois de crédits dans les parlements du type britannique, voire, le cas échéant, les lois de financement des régimes de sécurité sociale (France).

On notera que si les observations qui suivent valent essentiellement pour les projets de loi, le parcours des initiatives des chambres s’inscrivent dans le même schéma.

41.- Une participation égalitaire à l’élaboration de la loi

Sans même prendre en considération le cas particulier des initiatives financières, très peu de parlements font intervenir leurs deux chambres de manière égalitaire dans le processus législatif.

Il en est pourtant ainsi au Canada où Chambre des communes et Sénat – bien que composé, rappelons-le, de membres nommés – collaborent, sur un pied d’égalité, au processus législatif. En l’occurrence, cela se traduit, d’une part, par la possibilité d’introduire les projets indifféremment devant l’une ou l’autre des chambres et, d’autre part, par un dialogue entre celle-ci qui doit conduire à un accord, sans que l’une puisse imposer son point de vue. En théorie, la Chambre des communes et le Sénat peuvent mettre sur pied des « conférences libres » en vue de mettre fin à un désaccord persistant, mais, en pratique, cette faculté n’est plus utilisée et la recherche du compromis s’effectue par échanges de messages. Si, en définitive, aucun accord ne peut être trouvé, le projet est purement et simplement abandonné et « meurt au feuilleton », selon la formule consacrée.

Le Parlement suisse fonctionne de manière sensiblement analogue, chacun des deux Conseils disposant de prérogatives comparables dans le processus d’élaboration de la loi. Si des divergences persistent après trois délibérations, il est alors convoqué une « conférence de conciliation » en vue d’arriver à un accord, mais sans mécanisme de contrainte au détriment d’un des Conseils. Pour certains projets (traités en particulier), le second refus de l’un de deux est considéré comme définitif et le projet est abandonné.

42.- Une participation inégalitaire au processus législatif

C’est de loin la situation la plus fréquente, selon des modalités toutefois différentes.

Dans certains cas, l’inégalité entre les deux chambres est extrêmement marquée, l’une d’entre elles relevant davantage d’un rôle consultatif que d’une compétence législative de plein exercice.

C’est tout particulièrement la situation au Cambodge, où le Sénat est clairement placé par la Constitution dans un statut d’infériorité législative. Ainsi, tous les projets doivent être déposés à l’Assemblée nationale et, si des sénateurs entendent défendre une proposition de loi, ils doivent le faire préalablement devant l’Assemblée nationale. La navette enferme le Sénat dans des délais très contraints à l’issue desquels, s’il ne s’est pas prononcé, les mesures législatives peuvent être appliquées d’emblée. En outre, les éventuelles modifications qu’il propose peuvent être refusées par l’Assemblée, étant entendu que les navettes ne peuvent excéder un mois, moins pour les textes financiers, voire deux jours en cas d’urgence.

La Tunisie pratique également une inégalité de prérogatives très marquée, ne serait-ce que parce que la Chambre des Conseillers n’est pas saisie de tous les projets. Dans le cas où un projet lui est déféré, elle ne dispose que de quinze jours, dix jours pour le budget, pour se prononcer. Les éventuelles modifications qu’elle adopte sont portées devant une commission mixte paritaire, mais dans tous les cas, la chambre des Représentants peut faire prévaloir son point de vue.

Le Sénégal peut être rattaché à cette tradition : les projets de loi sont systématiquement transmis prioritairement à l’Assemblée nationale, le Sénat doit se prononcer dans les vingt jours et, en cas de désaccord, l’Assemblée statue définitivement.

Le deuxième modèle est celui de l’inégalité « relative ». Il se traduit par des prérogatives législatives globalement comparables, sous réserve de la possibilité donnée à l’Assemblée de faire prévaloir son point de vue en cas de conflit persistant. C’est, pour l’essentiel, celui du Parlement français, partagé par ceux du Gabon, de Madagascar et du Maroc.

Dans ces parlements, hormis les projets de loi de finances et assimilés, les projets peuvent être déposés indifféremment dans l’une ou l’autre des chambres. En France, le Sénat s’est vu reconnaître, en revanche, une priorité en ce qui concerne les lois ayant pour objet principal l’organisation des collectivités territoriales et celles relatives aux instances représentatives des Français installés hors de France.

La navette n’est pas limitée dans le temps et peut théoriquement se poursuivre jusqu’à ce que les assemblées parviennent à un texte commun. Néanmoins, dans tous ces parlements, le gouvernement peut prendre l’initiative de l’interrompre et d’inviter les chambres à rechercher un accord, ce qu’il fait, en pratique, la plupart du temps. La convocation d’une commission paritaire à cet effet peut se faire après deux lectures dans chacune des assemblées ou une seule en cas d’urgence ou de procédure accélérée (Maroc, Madagascar, France), ou systématiquement après une seule lecture (Gabon). Dans tous les cas, si la commission mixte paritaire ne parvient pas à élaborer un texte commun ou si le texte de compromis n’est pas adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, le gouvernement peut demander à la Chambre basse de statuer définitivement. On notera qu’il s’agit d’une faculté et, qu’en théorie du moins, le gouvernement pourrait laisser la navette se poursuivre.

Enfin, il convient d’évoquer le cas particulier de la Roumanie qui, depuis 2003, dans le but d’accélérer la procédure législative, a instauré un original système mixte, chacune des deux chambres étant susceptible de se trouver en état d’infériorité décisionnelle selon les matières traitées. De fait, tous les projets de loi sont normalement débattus dans les deux chambres, mais chacune statue en dernier ressort dans les domaines de compétences qui lui ont été attribués : la Chambre des Députés a ainsi le dernier mot pour les lois ordinaires, alors que le Sénat reste décisionnel pour les traités internationaux et leur texte d’application, les lois organiques étant réparties entre les deux assemblées.