Synthèses/

Chapitre VIII. Les procédures de controle

Synthèses

par Rémi Schenberg

Après les développements consacrés à la procédure législative, le chapitre VIII aborde le second volet du « cœur de métier » des parlements francophones.

A cet égard, on indiquera d’emblée que, dans le cadre de cette synthèse, on s’en tiendra au seul contrôle parlementaire, laissant délibérément de côté les procédures de contrôle externes (référendum, responsabilités pénales…..) qui ne participent pas directement des deux missions a priori nécessaires et suffisantes pour caractériser une assemblée parlementaire, à savoir voter la loi et contrôler l’action du gouvernement.

Ainsi circonscrit, ce chapitre reste d’une grande portée dans la mesure où est en cause une question liée à l’essence même et à l’évolution de la fonction parlementaire, et qui mérite d’être abordée à l’aune de la thématique sous-tendant le présent recueil lequel, au delà d’un relevé plus ou moins exhaustif de règles de droit parlementaire, cherche à illustrer comment les assemblées, chacune avec leur propres outils, font face aux missions qui leur sont imparties et de quelle manière elles gèrent leurs relations avec les autres pouvoirs constitutionnels.

Comme on le verra, les contributions disponibles pour ce chapitre font état de situations extrêmement diverses. Si la plupart des parlements de l’espace francophone partagent un « bouquet » commun de procédures de contrôle – motions de censure, questions de confiance, questions écrites et orales, déclarations du gouvernement – certains d’entre eux se sont dotés d’une panoplie extrêmement complète d’outils dédiés au contrôle qui vont de la seule procédure – interpellation, résolution….- aux enceintes ou organes spécialisés.

Une pluralité de facteurs concourt à l’hétérogénéité du panorama.

Tout d’abord, on gardera présent à l’esprit que, comme bien d’autres aspects du travail parlementaire, la consistance même du contrôle parlementaire et ses modalités de mise en œuvre peuvent différer selon la nature des institutions. Ce constat est évident en ce qui concerne le contrôle « politique », qui ne peut naturellement se traduire de la même manière dans un régime parlementaire, où le gouvernement est responsable devant la chambre et est susceptible de faire l’objet d’un vote de défiance, et dans un régime présidentiel, où les pouvoirs sont strictement séparés. En revanche, la teneur du contrôle « technique », entendu comme ne mettant pas en jeu la survie du gouvernement, est moins sensible aux différences institutionnelles, notamment parce qu’il est essentiellement dévolu aux commissions parlementaires, lesquelles sont constituées dans tous les parlements. Au regard des activités de contrôle, la summa divisio entre parlements « continentaux » et ceux du type britannique, régulièrement mise en exergue au gré des chapitres successifs du recueil, est incontestablement moins déterminante que d’autres distinctions pour expliquer les spécificités des règles et pratiques des assemblées objets de l’étude.

Par ailleurs, peut-être encore davantage que d’autres activités parlementaires, si le contrôle exercé par les membres des assemblées représentatives à titre individuel ou au sein d’une instance dédiée s’exerce dans un cadre défini par des dispositions constitutionnelles, légales ou règlementaires, sa réalité quotidienne est dictée par la pratique, la culture politique et la coutume. De fait, il faut une solide tradition ou une réelle vocation parlementaire pour qu’un député ou un sénateur arrive à conjuguer participation à la mise en œuvre du programme législatif et analyse critique de l’action du gouvernement qu’il soutient, ou, inversement, défiance partisane et appréciation nuancée d’un aspect particulier d’une politique qu’il désapprouve. Sont en cause bien sûr une certaine conception de l’intérêt général, un réel degré de « maturité » parlementaire et surtout, plus concrètement, la place réservée à l’opposition qui a vocation à être, sinon l’acteur prépondérant, du moins le corresponsable de la surveillance quotidienne de l’action de l’exécutif.

Ensuite, le vocable « procédures de contrôle » correspond à un périmètre d’activités hétérogène, voire incertain. Entre la mise en oeuvre d’une procédure susceptible de mettre fin à la vie d’un gouvernement, une question sur un fait d’actualité, l’examen d’une nomination ou une étude sur une politique sectorielle, les « fins et les moyens » du contrôle parlementaire sont multiples. Fonction consubstantielle du travail parlementaire, il s’est historiquement organisé autour, d’une part, d’un contrôle politique se bornant à la capacité à mettre en jeu la responsabilité du gouvernement et, d’autre part, à un contrôle technique largement focalisé sur le suivi des dépenses publiques. Progressivement, le champ de cette fonction s’est élargi au profit de missions moins balisées : si les activités d’enquête ont été de longue date considérées comme un des attributs des parlements, certains d’entre eux ont essayé de s’exonérer du cadre très rigide de l’enquête parlementaire et on développé, conjointement, les activités d’expertise, d’analyse et d’information. Plus récemment encore, certaines assemblées ont repoussé les limites du contrôle stricto sensu en s’orientant vers des tâches qui relèvent de l’évaluation des politiques publiques ou, dans les parlements de tradition britannique, de l’imputabilité des membres de l’exécutif.

Enfin, les activités de contrôle s’exercent dans un environnement souvent « concurrentiel ». Contrairement à la production législative – abstraction faite de la législation déléguée ou procédant du droit international ou émanant d’instances fédérales ou quasi fédérales - dans leur sphère de compétences, le contrôle de l’action des gouvernements par les assemblées francophones n’est pas exclusif. D’autres acteurs – partis politiques, groupements intermédiaires, ONG… et, naturellement, médias – participent à cette mission. Chacun d’entre eux, en fonction de sa représentativité, de sa vocation et de ses moyens, peut ainsi être amené à susciter, à nourrir, voire à contester, le travail de contrôle effectué par les parlementaires.

Selon les cas, on assiste, soit à un véritable dialogue, soit à une « émulation compétitive » entre parlements et autres acteurs du débat public. Pour les premiers, il s’agit d’une remise en cause partielle du monopole de l’expression politique qui leur était traditionnellement reconnu. Mais il s’agit aussi d’une opportunité de valoriser le travail de leurs membres qui peuvent faire valoir, à cette occasion, leur capacité à étudier des dossiers complexes dans la durée, dans le respect de la délibération collective, tout en s’appuyant sur une véritable légitimité démocratique. On comprendra que les activités de contrôle, dans leurs différentes composantes, parce qu’elles apportent une réelle visibilité à ceux qui les conduisent, aient le « vent en poupe », au moment où la production législative, confrontée à une complexité croissante, est souvent perçue par les intéressés comme moins gratifiante.

Dans ce contexte, les procédures et outils de contrôle existant dans les parlements francophones se caractérisent par une très grande diversité et une forte spécialisation. Les configurations propres à chaque Parlement permettent de caractériser des modèles de contrôle, largement déterminés par la place faite à l’opposition.

1.- DES OUTILS ET PROCEDURES DE CONTROLE NOMBREUX, POLYMORPHES ET SPECIALISES.

En première analyse, il ressort de l’ensemble des contributions que si presque tous les parlements concernés disposent d’un socle minimum commun de procédures et outils destinés à assurer les fonctions de contrôle « de base » théoriquement imparties à toute assemblée parlementaire, un certain nombre d’entre eux se sont progressivement dotés d’une large panoplie d’instruments plus ou moins sophistiqués, leur permettant de décliner une gamme étendue de missions.

Les procédures ainsi mises en œuvre peuvent être regroupées en plusieurs catégories, correspondant à autant de « spécialités ».

11.- Les instruments du contrôle politique « essentiel ».

Se rattachent à cette catégorie les procédures par lesquelles le parlement exprime solennellement une position politique à l’égard du gouvernement et qui se traduisent par la mise en jeu de sa responsabilité politique. La procédure est nécessairement assortie d’une sanction, soit un vote de confiance, lorsque ce dernier est organisé à l’initiative du gouvernement, soit une motion de défiance ou de censure, déposée par les membres du parlement, soit enfin un simple vote sur un sujet quelconque. En principe, la survie du gouvernement est à la clef, mais pas systématiquement, en particulier dans les parlements relevant de la tradition britannique.

Ces procédures constituent le « minimum vital » en matière de contrôle dans les régimes parlementaires, où, par construction, le gouvernement est responsable devant l’une ou les deux chambres. De fait, sous une forme ou sous une autre, elles existent dans la grande majorité des parlements francophones. Font exception le Congo, qui est un régime présidentiel, et la Suisse qui, aux termes de la Constitution du 18 avril 1999, est un régime « directorial ». Le Parlement du Valais ignore également les procédures de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, alors que le conseil du Val d’Aoste admet la censure mais ignore la question de confiance. La Tunisie connaît un régime hybride puisque bien que le gouvernement ne soit responsable, aux termes de la Constitution, que devant le Président de la République, l’Assemblée nationale garde la possibilité de censurer le gouvernement.

Généralisées au-delà de ces exceptions, les procédures tendant à vérifier le soutien parlementaire envers le gouvernement se différencient néanmoins sur certains points.

Au chapitre des principes, tout d’abord, la première distinction porte, dans les parlements bicaméraux, sur l’assemblée devant laquelle une question de confiance – confiance proprement dite ou motion de censure - peut être posée. Sans surprise, la majorité des sections confient cette prérogative aux seules chambres basses, en raison de leur mode d’élection. Se distingue sur ce plan la Roumanie, qui pratique, on l’a vu, un bicaméralisme égalitaire : les motions de censure y sont discutées au cours d’une séance commune entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Les chambres sont également sur un pied d’égalité au Maroc, la censure du gouvernement pouvant émaner aussi bien de la Chambre des représentants que de celle des conseillers.

Une autre différence s’observe entre parlements continentaux et ceux de tradition britannique.

Dans les premiers, les dispositions constitutionnelles fixent de manière préétablie les circonstances et les modalités selon lesquelles la responsabilité du gouvernement peut être engagée et quelles en sont les conséquences. Dans les seconds, les relations entre gouvernements et assemblées sont guidées par la « convention de la confiance », en vertu de laquelle il appartient au gouvernement de s’assurer qu’il bénéficie continuellement du soutien de la chambre. Certes, un gouvernement battu sur une question de confiance doit démissionner, mais c’est à lui qu’il appartient, au vu des circonstances, de déterminer ce que constitue une question de confiance. Il est admis qu’une motion exprimant explicitement la défiance sera suivie d’effets, ainsi que les motions que le gouvernement présente lui-même comme une question de confiance, en pratique très rares. Il en est de même des questions de confiance dites implicites, c’est-à-dire les votes sur des questions jugées essentielles : débat et votes lors du discours du trône, débat et votes sur le discours du budget, votes sur les crédits annuels… Pour tous les autres votes, il appartient au gouvernement d’apprécier si une mise en minorité exprime ou non la perte du soutien de la chambre.

Parce que cette situation est parfois jugée ambiguë, à l’occasion de la réforme parlementaire récemment adoptée au Québec, les principes entourant la mise en cause de la confiance envers le gouvernement ont été explicitement énumérés et précisés. Ainsi, désormais, l’Assemblée peut formellement mettre en cause la confiance à l’occasion d’une motion de censure libellée en ce sens, d’une motion du premier ministre proposant l’adoption de la politique générale, d’une motion du ministre des finances en vue de l’adoption de la politique budgétaire, d’une motion d’adoption d’un projet de loi de crédits budgétaires annuels et de toute motion dans laquelle le gouvernement engage expressément sa responsabilité. Cette formalisation de la convention de la confiance ne remet pas en cause son principe, mais elle en vient baliser la portée.

La troisième différence de principe porte sur l’investiture. En d’autres termes, la confiance accordée à un gouvernement nouvellement nommé est-elle présumée ou doit-elle être vérifiée ? Le choix pour cette dernière option n’est pas majoritaire ; elle est retenue dans les assemblées d’Andorre, du Maroc, en Roumanie, à l’Assemblée du Val d’Aoste. En France, l’engagement par le gouvernement de sa responsabilité dès son entrée en fonction, bien que prévu par la Constitution, n’est pas obligatoire. Jusqu’en 1993, les gouvernements ne l’ont pas fait, soit qu’ils marquaient ainsi la prééminence présidentielle, soit qu’ils ne disposaient pas de la majorité absolue. En revanche, depuis cette date, les premiers ministres ont systématiquement demandé l’investiture de leur gouvernement par l’Assemblée nationale.

A ces différences de principes s’ajoutent des spécificités dans les modalités de mise en œuvre.

La première distinction porte sur le fait générateur de la mise en cause de la responsabilité du gouvernement.

Sans doute par référence implicite au concept d’investiture, la question de confiance est en principe posée à l’occasion de l’exposé d’un programme ou d’une déclaration de politique générale. Un certain nombre de parlements ne connaissent d’ailleurs que cette voie d’action : tel est le cas au Burkina Faso, en Roumanie, au Togo.

Dans les autres cas, la confiance peut être sollicitée sur un programme ou un discours de politique générale, mais aussi sur un texte (Hongrie, Luxembourg, Madagascar, Maroc) ou tout sujet ou question (Andorre, Bulgarie, Belgique, Cap Vert). La situation des parlements de type britannique se rapproche de ce cas de figure puisque, en vertu de la convention de la confiance, le gouvernement apprécie les conséquences à tirer de n’importe quel vote. Toutefois, dans le cas particulier du Québec, le gouvernement doit désormais préalablement indiquer ses intentions.

La situation de la France est un peu particulière puisque si la confiance peut être demandée en principe sur un programme ou une déclaration de politique générale, elle peut également être sollicitée sur un texte par le biais du célèbre article 49-3 de la Constitution qui combine initiative gouvernementale – engagement par le premier ministre de la responsabilité sur un projet - et initiative de l’Assemblée de déposer une motion de censure, le texte étant considéré adopté sans vote si aucune motion de censure n’est déposée ou adoptée.

La possibilité donnée à un gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte ne participe pas de la même démarche politique que dans le cas d’un discours de politique générale. Il ne s’agit pas tant, en règle générale, de s’assurer ou de faire exprimer le soutien de la chambre que de forcer une majorité récalcitrante ou limitée à l’adoption d’un projet ou, plus prosaïquement dans le cas de la France, de surmonter une obstruction qui paralyse le processus législatif. Telle est notamment la raison pour laquelle la révision constitutionnelle de l’été 2008 en a limité l’utilisation aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale, ainsi qu’à un projet ordinaire par session.

S’agissant des motions de censure, l’initiative des parlementaires n’est pas bridée quant aux circonstances pour lesquelles elles peuvent être déposées. Les contraintes les concernant sont d’une autre nature (voir infra).

La seconde série de différences porte sur les conditions de mise en œuvre de ces procédures.

D’une manière générale, il est toujours plus facile pour le gouvernement d’obtenir la confiance que pour les assemblées de le renverser. Cet objectif, qui se justifie par le souci de conforter la stabilité des gouvernements face aux soubresauts potentiels des parlements, est satisfait, notamment, par des contraintes spécifiques imposées à l’exercice de la censure pour le rendre plus aléatoire.

Généralement, la confiance sollicitée par le gouvernement se constate à la majorité simple des suffrages exprimés. Fait exception le Cap Vert où est nécessaire la majorité des députés en exercice.

S’agissant de l’exercice de la censure, les spécificités s’observent à tous les niveaux, qu’il s’agisse des effectifs, des délais ou des majorités requis.

Tout d’abord, en Belgique et en Hongrie, la motion de défiance n’est recevable que si elle est assortie de la présentation d’un successeur. On voit bien la logique qui préside à cette condition, les initiateurs de la censure devant préalablement s’entendre pour proposer une alternative viable.

Ensuite, dans tous les parlements, la censure doit être soutenue par un nombre significatif de parlementaires, afin de décourager les initiatives isolées et minoritaires, mais moyennant des seuils variables. A Madagascar, elle doit émaner de la moitié des membres de l’Assemblée, mais dans certains cas les signataires doivent représenter ¼ (Maroc, Roumanie), voire 1/3 des membres composant l’Assemblée (Burkina Faso, Togo, Tunisie, Val d’Aoste). Certains parlements sont apparemment plus accommodants (Bulgarie, Cap Vert), cette facilité pouvant cependant être compensée par d’autres exigences : en Hongrie, 1/5ème des membres sont suffisants pour soutenir une motion de censure, mais ils doivent présenter un successeur ; en France, l’effectif des signataires requis n’est que de 1/10ème des membres, mais la confiance est toujours présumée et seuls les votes favorables à la censure sont comptés.

A cet égard, l’ensemble des parlements impose des majorités qualifiées pour l’adoption de la censure, ce qui se traduit, au minimum, par l’exigence de la majorité des membres composant l’assemblée et non plus seulement celle des suffrages exprimés comme pour la confiance. A Madagascar et au Togo, cette majorité qualifiée est même portée à 2/3 des membres de l’assemblée.

En ce qui concerne les contraintes pesant sur l’exercice de la censure, on évoquera également les délais imposés entre le dépôt de la motion et sa discussion, puis son vote. Ces délais de réflexion obligatoires constituent autant de freins ainsi appliqués aux initiatives intempestives ou à celles visant à bloquer le processus parlementaire normal. Particulièrement représentatif est le cas de la France où, selon la Constitution, la mise au voix de la motion ne peut être faite moins de quarante-huit heures après son dépôt, la discussion ne pouvant avoir lieu plus de trois jours de séance à l’issue de ce même délai. Des dispositions de même nature existent dans bon nombre d’assemblées : Bulgarie, Belgique, Madagascar, Maroc, Roumanie, Togo, Tunisie, Val d’Aoste….

Enfin, il convient de mentionner les restrictions visant à prohiber les motions de censure à répétition. Par exemple, en France, chaque signataire ne peut signer que trois motions au cours d’une même session ordinaire, alors qu’en Roumanie il ne peut en signer qu’une seule. En Andorre et Bulgarie, six mois doivent séparer deux motions de censure, ce délai étant ramené à quatre-vingt-dix jours en Macédoine. Même si elles n’y ont pas la même portée, l’Assemblée nationale du Québec ne permet, au cours d’une même session, la discussion prioritaire que de six motions de censure outre celles discutées dans le cadre des débats sur le discours d’ouverture et le discours du budget.

12.- Les outils de suivi politique quotidien

Cette deuxième catégorie regroupe les procédures et outils qui permettent aux parlementaires de s’informer et de contrôler l’action du gouvernement au quotidien.

Les instruments correspondants sont variés tant dans leur forme que dans leur degré de sophistication, représentant un spectre allant de débats généraux en séance plénière aux procédures plus élaborées d’expression d’une opinion par l’Assemblée, en passant par les traditionnelles questions orales ou écrites. Il reste qu’elles possèdent des caractéristiques communes. Dans tous les cas, elles ne sont assorties d’aucune sanction susceptible de mettre directement en jeu la responsabilité du gouvernement. Pour autant, elles restent du domaine de la séance plénière ou, du moins, d’une enceinte permettant d’assurer une réelle visibilité politique. En fait, ces procédures participent autant du contrôle politique que de l’information au « fil de l’eau » des assemblées. Elles sont le lien qui garantit un suivi permanent de la plupart des domaines de l’action gouvernementale et qui assure, chemin faisant, des fenêtres d’expression à l’opposition.

Comme dans d’autres aspects du contrôle, la grande majorité des parlements francophones partagent un socle commun, à partir duquel certains se sont dotés d’outils plus élaborés permettant d’associer davantage les membres du parlement à la définition et à la mise en œuvre des politiques gouvernementales.

De fait, presque toutes les assemblées organisent des séances permettant aux gouvernements de venir exposer une politique globale ou des aspects plus sectoriels de leur action. Corrélativement, elles donnent la possibilité à leurs membres d’interroger les gouvernements.

La pratique des déclarations à l’initiative du gouvernement est généralisée, étant entendu qu’il convient de faire une place à part aux interventions « institutionnelles » prononcées par les chef de l’Etat ou de gouvernement qui relèvent davantage d’une logique d’investiture, tels que le discours sur l’état de la Nation au Congo ou les discours du Trône (Canada) ou d’ouverture (Québec), même si ceux-ci sont suivis d’un large débat.

Ces deux parlements admettent par ailleurs les déclarations du gouvernement ou de ses membres, mais dans une version « allégée », puisqu’il s’agit, pour l’essentiel, de brèves interventions, ouvrant éventuellement droit à une rapide réplique, effectuées pendant la période des affaires courantes.

Il est largement admis que les déclarations gouvernementales à caractère informatif peuvent donner lieu à débats, mais, dans la plupart des cas, conformément aux principes qui président à leur organisation, ceux-ci sont dépourvus de toute sanction et ne donnent donc pas lieu à vote. Se distinguent toutefois sur ce point Andorre, où les débats d’orientation politique sont suivis d’un vote, ainsi que l’Assemblée nationale hongroise qui autorise les votes à l’issue des déclarations gouvernementales, tout en les privant explicitement de toute conséquence.

L’autre instrument traditionnel de contrôle politique quotidien est constitué de l’ensemble des procédures qui permettent aux parlementaires d’interroger individuellement le gouvernement sur des aspects ponctuels de sa politique.

Les questions peuvent être posées par écrit, faculté couramment reconnue et d’utilisation généralement aisée. Si certains parlements en limitent l’exercice (par exemple quatre questions par mois par député au Cap Vert), la plupart ne le font pas, ce qui en explique le succès : en France, le nombre des questions écrites est ainsi passé de 3 700 en 1959 à plus de 25 000 aujourd’hui….

Pour autant, la procédure la plus significative reste celle des questions orales que celles-ci donnent lieu à débat ou non ou qu’elles prennent la forme plus simple et théoriquement plus libre des questions d’actualité qui bénéficient généralement d’un traitement médiatique privilégié. Dans ce domaine, les différences se cristallisent autour du temps consacré à cette procédure et de leur plus ou moins grande spontanéité.

S’agissant du temps consacré aux questions orales et aux réponses du gouvernement, les pratiques sont loin d’être uniformes, mais la périodicité est la règle. Il reste que les créneaux qui y sont consacrés peuvent être relativement limités (séances périodiques en Tunisie ; une séance par mois au Cap Vert, au Luxembourg, à Madagascar ; une séance toutes les trois séances au Liban ; une séance toute les deux semaines en Roumanie), assez fréquents (séances hebdomadaires de 3h1/2 au Maroc) ou très nombreux comme en Belgique, au parlement fédéral du Canada (45 minutes chaque jour de séance à la Chambre des communes), à l’Assemblée nationale du Québec (45 minutes chaque jour de séance). En France, deux séances hebdomadaires d’une heure sont consacrées aux questions au gouvernement, auxquels s’ajoutent deux séances de questions orales sans débat pendant les semaines consacrées au contrôle et une période mensuelle de 1h30 pour des questions posées à un ministre.

Si la configuration et la portée des séances de questions sont tributaires de leur fréquence, elles le sont au moins autant de leur caractère plus ou moins spontané. De ce point de vue, on constatera que, dans la plupart des assemblées, les questions orales sont préalablement transmises ou notifiées aux gouvernements (Bulgarie, Cap Vert, Congo, Luxembourg, Madagascar, Maroc, Roumanie, Suisse, Togo).

Plus rares sont les Parlements qui organisent des séances de questions aussi spontanées que possible. En France, si les questions orales « normales » sont préalablement transmises, celles posées lors des séances hebdomadaires de questions au gouvernement ne sont ni déposées ni notifiées et leur contenu n’est normalement pas communiqué au gouvernement qui ne connaît que le nom des auteurs une heure avant la séance. Au Canada, comme au Québec, les questions posées lors de la période ad hoc ne donnent lieu à aucun préavis. Comme en France, de manière sans doute encore plus poussée, la période de question est menée de telle sorte que les échanges soient nombreux et rythmés et que les questions posées puissent réellement être qualifiées d’actualité. Dans ces derniers parlements, ces séances sont devenues des moments essentiels de la vie parlementaire et donnent lieu à une très forte médiatisation, avec les limites et risques qui l’accompagnent.

Au-delà de ce « vade-mecum » parlementaire, plusieurs parlements se sont dotés de procédures supplémentaires qui, pour l’essentiel, visent deux objectifs, à savoir, d’une part, donner plus d’initiative au parlement dans l’exercice du contrôle politique quotidien et, d’autre part, lui permettre d’étendre son contrôle dans des domaines habituellement peu fréquentés par les parlementaires. Dans certains cas, ces procédures peuvent donner lieu à un vote formel, mais qui reste, bien entendu, dénué de toute portée au regard de la responsabilité du gouvernement.

Ainsi, le contrôle politique exercé par les membres des assemblées sur l’action gouvernementale est parfois enrichi par la faculté donnée à ceux-ci de déclencher un débat sur tel ou tel aspect de la politique du gouvernement, voire de donner un avis formel sur un sujet quelconque.

L’outil traditionnel en la matière est « l’interpellation », au terme de laquelle un membre du gouvernement est tenu de venir s’expliquer devant la chambre sur un point ou un fait précis. Souvent assortie de garanties tendant à s’assurer que l’intéressé y défèrera, cette procédure existe au Congo, en Hongrie, au Liban, où l’interpellation, inscrite à un ordre du jour réservé, peut être suivie d’un vote de confiance, en Roumanie, où une séance leur est consacrée toutes les deux semaines, au Togo, lorsqu’un ministre n’a pas répondu à une question et au Val d’Aoste. L’Assemblée nationale du Québec connaît également la procédure de l’interpellation, mais il s’agit, en fait, d’une modalité de contrôle exercée par les commissions qui se traduit par un débat, en salle de l’Assemblée, entre un député de l’opposition et un ministre sur un sujet d’actualité de la compétence de la commission.

Au-delà de l’interpellation, bon nombre d’assemblées francophones ont institué des procédures qui constituent, sous des appellations diverses, des débats d’initiative parlementaire. Ainsi, en Andorre, des « séances informatives » peuvent être sollicitées par l’assemblée et être suivies de remarque. Ce type de débats existe aussi en Belgique, au Cap Vert, en Hongrie, au Luxembourg, au Val d’Aoste. La Tunisie admet également les débats sectoriels à l’initiative de députés. L’Assemblée nationale de Roumanie ne prévoit pas à proprement parler de débats d’initiative parlementaire, mais 1h30 est consacrée chaque mardi à des déclarations politiques de ses membres.

En France, jusqu’en 2008, les débats d’initiative parlementaire se déroulaient dans le cadre de la séance mensuelle réservée à un ordre du jour déterminé par l’Assemblée, communément appelée « niche » parlementaire. Les groupes pouvaient ainsi choisir d’inscrire soit un texte, soit un débat, ce qui n’était pas la pratique la plus courante. La réforme constitutionnelle de l’été 2008 a changé la donne puisque désormais une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, semaine pendant laquelle chaque président de groupe minoritaire ou d’opposition obtient de droit l’inscription d’un sujet. Par ailleurs, des débats peuvent être tenus le jour de séance par mois réservé à un ordre du jour fixé par les assemblées à l’initiative des groupes d’opposition ou minoritaires.

Traditionnellement, les assemblées du type britannique recourent à de nombreuses procédures pour permettre la tenue de débats à l’initiative des députés non membres du gouvernement.

D’une manière générale, tout député peut donner avis d’une motion, mais les chances pour que celle-ci soit discutée sont minces car les affaires du gouvernement sont prioritaires. A la Chambre des communes, les députés peuvent néanmoins intervenir au cours de l’heure quotidienne réservée aux affaires émanant des députés, le cas échéant pour exprimer un point de vue. Ils peuvent également obtenir un temps de parole supplémentaire suite à une réponse à une question jugée insuffisante au cours du débat sur la motion d’ajournement qui dure 30 minutes. Mais surtout, les députés peuvent obtenir la tenue d’un débat d’urgence, prioritaire, si le principe en est accepté. C’est au Président qu’il incombe de déterminer s’il y a lieu de déférer à la demande au vu de critères jurisprudentiels élaborés tenant à la nature de la question et aux autres possibilités de l’évoquer. L’Assemblée nationale du Québec propose peu ou prou les mêmes procédures, notamment depuis la dernière réforme parlementaire. S’y ajoute la matinée hebdomadaire des affaires inscrites par les députés de l’opposition qui permet à cette dernière d’obtenir, de droit, une douzaine de fois par an, un débat à son initiative.

Quelques rares parlements sont, par ailleurs, habilités à voter des résolutions. Il s’agit d’un texte par lequel une assemblée émet un avis sur une question, sans impact sur la responsabilité du gouvernement, tout en étant en dehors du champ de la procédure législative. Après avoir été écartée depuis le début de la Vème République, à l’exception des résolutions relatives à des projets d’actes européens, cette faculté a été réactivée en France par la réforme de juillet 2008. La discussion d’une proposition de résolution est certes soumise à des limites (elle ne peut pas conduire à mettre en jeu la responsabilité du gouvernement, ni contenir d’injonctions, ni reprendre une proposition déjà examinée au cours de la même session), mais une fois recevable, elle peut être examinée lors d’une séance dont l’ordre du jour est fixé par l’Assemblée.

Au-delà du renforcement de la capacité d’initiative parlementaire en matière de contrôle, le droit parlementaire dans l’espace francophone a aussi su créer, de manière encore marginale, quelques procédures innovantes en vue d’associer encore davantage les représentations nationales à la définition et à la mise en œuvre des politiques gouvernementales.

Si on ne peut exclure à la lecture des contributions envoyées par les parlements que des expérimentations y soient menées en ce sens, force est de constater que les exemples restent rares et cantonnés à des assemblées qui possèdent une longue tradition, en l’occurrence le Parlement fédéral du Canada et le parlement français.

A la Chambre des communes du Canada, les ministres peuvent diligenter la tenue d’un « débat exploratoire » sur un aspect de la politique gouvernementale. Au-delà de leur apparence, ces débats ne sont pas assimilables aux déclarations avec débat existant dans les autres parlements. Il s’agit bel et bien de donner l’occasion aux députés de participer à la formulation d’une politique gouvernementale avant qu’une décision ne soit prise. Certes, dans une démocratie représentative, contacts et consultations entre un gouvernement et sa majorité en vue de définir les lignes directrices de sa politique et pour la préparation des projets de loi sont monnaies courantes, voire pratique normale de gouvernance. Cependant, cette procédure est d’une autre nature dans la mesure où elle s’adresse au parlement dans son ensemble et où elle assure une transparence au processus de consultation.

La France s’est orientée, en juillet 2008, dans une autre direction avec une nouvelle procédure qui permet au parlement de se prononcer dans un champ de compétence dont il était, contrairement à d’autres parlements étrangers, traditionnellement exclu, à savoir les questions de défense. Vis-à-vis de cette compétence quasi exclusive de l’exécutif, le Parlement se bornait en effet à autoriser les déclarations de guerre. La récente réforme constitutionnelle a remis en cause cette impotence en créant une procédure de contrôle parlementaire sur les opérations militaires extérieures : le gouvernement doit désormais informer le parlement des opérations au plus tard trois jours après le début de l’intervention et la prolongation d’une opération au-delà de quatre mois doit être autorisée. Cette réforme n’est pas restée lettre morte et, à cette date, a déjà été utilisée deux fois.

Avec ces deux instruments, les parlements concernés exercent des missions situées aux confins du contrôle politique tel qu’il s’entend habituellement. L’intervention parlementaire ne se situe plus a posteriori, mais devient préalable, voire concomitante, à la mise en œuvre d’une politique. Dans les domaines concernés, ces procédures tendent à une forme de coresponsabilité politique entre gouvernements et représentations nationales.

13.- Les moyens de contrôle technique et d’information

Sous cette rubrique sont regroupées les procédures et outils permettant aux parlementaires de procéder à des analyses approfondies de politiques sectorielles. En fait, les missions qui sont exercées dans ce cadre participent autant du contrôle stricto sensu que de l’information générale des assemblées par un suivi régulier, mais sélectif, des actions gouvernementales en dehors de tout processus législatif. Technique, ce contrôle n’en reste pas moins politique dans ses fins puisqu’il donne l’occasion à l’assemblée représentative de se prononcer sur les actions du gouvernement.

Les commissions parlementaires en sont les enceintes privilégiées. Tout d’abord, leurs compétences sectorielles incitent leurs membres à développer une spécialisation qui facilite nécessairement le travail de suivi. Ensuite, leurs effectifs restreints et la culture de « club » qui parfois s’y installe, conjugués à un travail plus discret, sont propices à une approche moins partisane et plus technique des dossiers, condition nécessaire pour mener à bien un travail d’analyse. Enfin, les commissions peuvent s’appuyer sur les pratiques et méthodes d’instruction du travail législatif qui sont, dans leur ensemble, transposables au travail informatif.

En pratique, le contrôle technique exercé par les commissions parlementaires se déploie autour de trois pôles : le contrôle budgétaire et financier – lequel reste perçu comme l’essence même du contrôle parlementaire dans les parlements de type britannique, le contrôle de l’application des lois et l’information générale du parlement. Certains parlements exercent également un contrôle sur certaines nominations.

Quasiment tous les parlements de l’espace francophone reconnaissent à leurs commissions permanentes le pouvoir de contrôler quotidiennement la politique du gouvernement. S’en démarquent principalement la Roumanie, qui confie cette fonction plutôt à des commissions spéciales, le Liban et la Suisse qui, à l’exception des matières budgétaires, ne leur reconnaît pas formellement cette prérogative, contrôle et travail d’information étant donnés de préférence à des commissions d’experts. Cette reconnaissance peut être le fruit de la pratique, comme dans les parlements de type britannique, encore qu’au Québec le Règlement mentionne depuis 1984 que les commissions sont le principal outil du contrôle parlementaire, ou être consacrée par les textes régissant le fonctionnement des assemblées parlementaires. Ainsi, le Règlement de l’Assemblée nationale française dispose t-il que « les commissions permanentes assurent l’information de l’Assemblée pour lui permettre d’assurer son contrôle sur la politique du Gouvernement ». Une formulation très voisine est retenue par le parlement du Burkina Faso.

Pour exercer leurs missions, les commissions disposent de plusieurs outils.

La faculté de procéder à des auditions de membres du gouvernement, de personnalités est généralisée et, parfois, elle est garantie par des dispositions légales qui organisent, à des degrés divers, une forme de contrainte. Tel est le cas, notamment, en Bulgarie, au parlement fédéral du Canada, à l’Assemblée nationale du Québec et en France. En matière d’auditions, la pratique des assemblées de type britannique est de distinguer consultations publiques particulières, assimilables aux auditions « standards » et générales où l’ensemble de la population est invité à transmettre son avis sur un sujet.

Parfois, les règles accordent compétence aux commissions pour procéder à des visites et des déplacements sur place, comme au Burkina Faso, au Togo ou au Val d’Aoste.

Parfois, la commission permanente elle-même n’apparaît pas être le lieu le plus adapté pour mener à bien les missions de contrôle et d’information, soit que le sujet impose une technicité particulière, soit qu’il soit jugé préférable de confier l’étude à un groupe plus restreint de parlementaires, soit, enfin, que le cadre de la commission soit jugé trop rigide. Telle est la raison pour laquelle beaucoup de parlements prévoient la possibilité de constituer des « missions d’informations » qui constituent, en quelque sorte, des démembrements ou des prolongements temporaires des commissions dont elles émanent. Tel est le cas en Belgique, au Burkina Faso, au Congo, en France, en Guinée ou au Togo. Au Maroc, elles prennent la forme de « missions exploratoires » qui remplissent à peu près les mêmes fonctions. Les missions d’informations peuvent être d’un effectif variable, d’une durée également variable ; elles peuvent être créées au sein d’une seule commission, mais elles peuvent aussi être communes à plusieurs comme en France. Il s’agit d’un outil d’une grande souplesse, particulièrement bien calibré pour des missions ponctuelles techniques nécessitant de la réactivité. Facilement identifiables à l’extérieur, elles permettent aussi à leurs membres de mettre plus facilement en valeur leurs contributions personnelles.

A priori, les commissions décident elles mêmes de leur programme de travail non législatif, surtout en matière d’information. La Belgique se distingue quelque peu sur ce point puisque les auditions doivent être autorisées par la Conférence des présidents et la création de missions d’information est approuvée par le Bureau. En Roumanie, dans la mesure où contrôle et information relèvent davantage de commissions spéciales créées par les assemblées, le pouvoir d’information appartient de fait à ces dernières.

De même, les comités des parlements de tradition britannique apparaissent, de prime abord, moins autonomes dans ces domaines. Il faut garder présent à l’esprit que dans ces parlements, les comités sont des prolongements de la Chambre et que, fondamentalement, ils agissent sur délégation de cette dernière.

De fait, si le contrôle budgétaire est l’apanage des comités permanents, les travaux d’études et d’information à la Chambre des communes peuvent être effectués soit en leur sein, soit, plus souvent, dans des comités spéciaux créés par la Chambre elle-même. Au Québec, la plupart des mandats de contrôle émanent de l’Assemblée (études des crédits budgétaires, poursuite du débat sur le discours du budget, études de tout autre sujet) et certains découlent directement de la loi (études de rapports d’organismes, auditions de dirigeants d’entreprises publiques….). La réforme de 1984 a cependant cherché à dynamiser les commissions parlementaires via les « mandats d’initiative ». Modéré pendant un certain temps, le recours à ces mandats tend à s’accroître au fil du temps avec la surveillance des organismes publics et surtout l’étude de sujets d’intérêt public. Par ailleurs, rien n’empêche l’Assemblée de créer une commission spéciale, comme elle vient de le faire fin 2009 avec une commission sur le droit de mourir dans la dignité.

Comme on l’a indiqué, le contrôle technique s’articule, au premier chef, autour du contrôle budgétaire et financier. De fait, il s’agit du cœur « historique » des fonctions de contrôle, corollaire de l’approbation de la charge publique par les assemblées parlementaires.

C’est dans ce domaine que les parlements ont prioritairement développé les outils et pratiques leur permettant de mener à bien leurs missions. Dans beaucoup d’assemblées francophones, où la mission informative est encore embryonnaire, le contrôle budgétaire et financier reste la pierre angulaire de la fonction de contrôle.

Le contrôle de la gestion gouvernementale est traditionnellement confié à la commission chargée des finances, mais pas forcément de façon exclusive. Au Burkina Faso, au Togo, en France, les commissions des finances jouent un rôle central dans ce processus, notamment, dans ce dernier pays, par le biais des rapporteurs généraux et spéciaux chargés d’examiner tout ou partie d’une politique, d’un département ou ministère. Concrètement, ces parlementaires spécialement désignés examinent les crédits qui relèvent de leur secteur de compétence lors de l’examen du projet de budget et font rapport à la commission des finances puis en séance plénière. Par ailleurs, ils suivent quotidiennement la gestion de ces mêmes crédits, missions pour l’exercice desquelles ils possèdent d’importants pouvoirs d’investigation sur pièce et sur place. En Suisse, ce sont explicitement les commissions des finances des deux conseils qui assurent la surveillance des finances de la Confédération. Au Luxembourg, la chambre s’est dotée d’une commission de l’exécution budgétaire qui est spécialement chargée de contrôler la gestion financière du gouvernement.

Dans les parlements du type britannique, traditionnellement chacun des comités et commissions permanents est chargé, dans son domaine de compétence, d’assurer le contrôle de la gestion des crédits des ministères et organismes publics qui en relèvent. Cependant, à la Chambre des communes, le comité permanent des opérations gouvernementales est, notamment, chargé d’examiner les prévisions budgétaires des ministères, celles relatives à l’utilisation des nouvelles technologies par le gouvernement et les budgets exécutés par plus d’un ministère ou organisme. Il peut, en conséquence, modifier les crédits renvoyés aux autres comités permanents, jouant, dans les faits, le rôle d’une commission de tutelle. A l’Assemblée nationale du Québec, l’étude des crédits budgétaires est renvoyée aux commissions permanentes après leur dépôt. Il s’agit d’un exercice qui ne peut excéder deux cents heures, au cours duquel les ministres sont interrogés à titre de témoins. Toutefois, les grandes orientations budgétaires sont plutôt discutées en commission des finances lors de la suite du débat annuel sur le discours du budget. Par ailleurs, depuis 1997, l’examen des dépenses et de la gestion des ministères et organismes publics est aussi assuré par la commission de l’administration publique qui, notamment, procède à la vérification des engagements financiers. Ici également, le contrôle de l’exécution budgétaire et de la gestion financière est donc, pour partie, centralisé dans une enceinte dédiée.

Dans certains parlements, la place particulière occupée par les commissions des finances ou leurs équivalents dans le processus de contrôle budgétaire et financier se traduit dans le fait de confier leur présidence à un membre de l’opposition : commission des finances de l’Assemblée nationale en France, commission de l’administration publique au Québec et commission de l’exécution budgétaire au Luxembourg.

Le contrôle de l’application de la loi constitue un second volet spécifique du contrôle parlementaire technique, sur lequel certains parlements consentent des efforts particuliers. Il s’agit d’une préoccupation légitime : une fois la loi votée, celle-ci doit être mise en œuvre par le biais de textes d’application dont le contenu et les délais de publication sont de nature à affecter la portée même du travail effectué par le législateur. Ainsi, le contrôle d’application des lois constitue ni plus ni moins un prolongement du pouvoir législatif imparti aux Parlements.

Cette fonction est clairement identifiée, par exemple, au Burkina Faso qui reconnaît à l’Assemblée, à l’occasion d’une interpellation relative aux décrets d’application, la possibilité de formuler des recommandations pour obtenir un point sur la mise en œuvre de ces textes. En Guinée, le contrôle de l’application des lois relève plus particulièrement de la commission de la législation. Au Maroc, le contrôle de l’application des lois est explicitement mentionné comme une des missions particulières qui peut être confiée aux missions exploratoires provisoires.

Mais trois parlements se distinguent plus nettement dans ce domaine en donnant une portée particulière à la surveillance de l’application des lois.

Il s’agit, d’abord, de la Suisse où cette fonction relève du « Contrôle parlementaire de l’administration », enceinte dédiée, qui, sur mandats des commissions, assure le suivi des mesures prises par la Confédération (voir infra). Il s’agit ensuite de la France, où diverses initiatives du Sénat puis de l’Assemblée nationale ont abouti à confier aux commissions permanentes le contrôle de l’application des lois. Ainsi, à l’Assemblée nationale, le Règlement prévoit depuis 2009 que six mois après l’entrée en vigueur d’une loi nécessitant des textes d’application, un rapport, rédigé par deux députés, dont un d’opposition, doit être présenté à la commission compétente. Enfin, même si elle ne passe pas par la création d’une procédure particulière, c’est une démarche du même ordre qui a inspiré la création, à la Chambre des communes du Canada, du comité spécial sur la loi anti-terrorisme en décembre 2004 chargé de procéder à un examen approfondi des dispositions et de l’application de la Loi antiterroriste de 2001. A noter que ces trois cas témoignent d’une conception élargie du contrôle de l’application des lois qui ne se limite plus à un suivi quantitatif et qualitatif des mesures d’application et qui participe d’une démarche plus globale d’évaluation de la législation.

On terminera par deux aspects spécifiques du contrôle parlementaire concernant des domaines qui en sont habituellement exclus.

D’une part, les assemblées peuvent être habilitées à contrôler certaines nominations effectuées par le pouvoir exécutif : cette compétence est reconnue aux comités du parlement fédéral du Canada à l’égard des nominations effectuées par décret ; il en est de même des commissions du parlement français qui, depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008, peuvent, à la majorité des trois cinquièmes des votes exprimés dans les deux commissions, s’opposer à certaines nominations effectuées par le Président de la République.

D’autre part, a priori le seul à s’être doté d’une structure permanente idoine, le Parlement français, par le biais d’une délégation parlementaire commune Assemblée-Sénat, est chargé, depuis la dernière réforme constitutionnelle, dans des conditions, on l’imagine, strictement balisées, de suivre les activités des services de renseignement.

14.- Les instruments d’investigations parlementaires.

Qu’elle leur ait été reconnue ou qu’ils s’en soient emparés, la possibilité donnée aux parlements de mener des enquêtes et des investigations est généralement considérée comme une des manifestations les plus tangibles de leur pouvoir de contrôle. De fait, sous une forme ou sous une autre, les parlements francophones peuvent s’appuyer sur des structures qui leurs sont propres pour mener des investigations sur des faits particuliers, et leur accordent pour se faire, le plus souvent, des pouvoirs élargis. Un traitement particulier doit cependant être réservé aux parlements de tradition britannique qui ont, dans ce domaine, des règles et des pratiques distinctes.

Le modèle majoritairement en vigueur dans les parlements de l’espace francophone est donc celui de la structure temporaire ad hoc créée par décision majoritaire de l’Assemblée, généralement à la suite de l’adoption d’une proposition en ce sens. Logiquement, leur durée de vie est limitée à l’exercice du mandat qui leur a été confié ; elle s’interrompt, en pratique, au moment où est remis leur rapport.

On note, néanmoins, un certain nombre de dérogations à ce cadre général ou des nuances dans son application. Tout d’abord, on fera ressortir le cas du Togo où les investigations souhaitées par la Chambre sont effectuées par des commissions d’enquête composées d’experts indépendants. Par ailleurs, certains parlements acceptent de confier des enquêtes aux commissions permanentes qui se voient alors reconnaître des pouvoirs particuliers à cette occasion : c’est le cas au Congo lorsque l’Assemblée est en session, en Roumanie et en France. Dans ces deux derniers parlements, la demande émane de la commission, mais l’extension des compétences doit être cependant acceptée par la Chambre plénière. Au Luxembourg, les investigations peuvent être conduites par la Chambre elle-même ou une commission formée en son sein. Enfin, on mentionnera le cas de la Suisse, où les commissions ainsi créées sont communes aux deux conseils.

S’agissant des modalités, on note que certaines assemblées rendent plus aisée que d’autres la création des commissions d’enquête. Ainsi, au Cap Vert et en Hongrie, la création est de droit si la demande est formulée par un cinquième des membres. Par ailleurs, si l’organisation et le fonctionnement des commissions d’enquête peuvent être régis par des règles préétablies – que celles-ci résultent de la Constitution, de textes particuliers ou des deux à la fois comme en France (Constitution et ordonnance relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) - leur composition, la nature de leur mandat et l’étendue de leurs pouvoirs peuvent être fixés au cas par cas par l’assemblée elle-même, comme en Bulgarie, au Congo, au Liban, en Roumanie et au Togo.

La plupart du temps, les investigations connaissent certaines limites. En particulier, elles ne peuvent porter sur des faits qui donnent lieu parallèlement à des poursuites judiciaires. Cette restriction, qui s’explique par le souci de garantir la séparation des pouvoirs, est prévue au Maroc, en Roumanie et en France, encore que dans ce pays la jurisprudence retienne une approche compréhensive favorable à la création des commissions d’enquête, l’existence de poursuites judiciaires n’en interdisant pas la création, mais excluant les faits incriminés de son périmètre d’investigation.

Une fois créées, les commissions disposent de très larges prérogatives qui les rapprochent de facto d’une instance juridictionnelle, notamment en Bulgarie, en Hongrie, où la Chambre peut les autoriser à accéder aux « secrets d’Etat » et en Roumanie. De son côté, le Luxembourg leur confie expressément les pouvoirs du juge d’instruction en matière criminelle, alors qu’en France, aux termes de l’ordonnance de 1958 précitée, les commissions d’enquête disposent du pouvoir de citation directe, de pouvoirs d’investigation sur pièce et sur place attribués à leurs rapporteurs et de la maîtrise de leur règles de publicité.

Dans les assemblées du type britannique, les investigations et enquêtes parlementaires s’inscrivent dans un cadre moins circonscrit.

Au Parlement fédéral du Canada, cette branche particulière du contrôle ressort, en principe, de la compétence des comités permanents, étant entendu que mandat doit leur être confié soit par le Sénat, soit par la Chambre des communes. De fait, dans cette dernière, aux termes du Règlement, les comités permanents ont le pouvoir d’examiner toutes les questions confiées par la Chambre et de faire enquête à leur sujet. Dans le cadre de ces mandats, les comités peuvent mener librement leurs travaux. Si un comité a besoin de prérogatives supplémentaires, la Chambre peut lui accorder.

L’exercice de ces compétences est facilité par le fait que les comités permanents peuvent, d’une manière générale, convoquer des personnes, exiger la production de documents et faire appel aux services de spécialistes et du personnel professionnel.

La chambre peut aussi créer des comités spéciaux qui disposent des pouvoirs mentionnés dans l’ordre qui les institue et qui existent jusqu’au dépôt de leur rapport.

Au Québec, les tâches assumées ailleurs par les commissions d’enquêtes peuvent aussi être prises en charges par les commissions parlementaires permanentes soit en vertu d’un mandat de l’Assemblée – ce qui est assez peu fréquent – soit dans le cadre des mandats d’initiative qui les autorisent à se saisir de toute question pour étude ou enquête. Dans ce cas, la commission élabore et organise ses travaux sans intervention de l’assemblée. Pour ce faire, elle dispose des pouvoirs reconnus aux commissions : auditions, consultations, convocations de témoins….

Toutefois, les fonctions exercées par les commissions d’enquête dans les autres parlements sont souvent assumées au Parlement canadien par les « commissions d’enquête royales » et, au Québec, par les « commissions parlementaires spéciales ».

Les commissions d’enquête royales sont créées par le premier ministre, notamment en vertu de la loi sur les enquêtes, pour faire la lumière sur des questions d’importance nationale. Conduites par des spécialistes ou des juges, elles peuvent assigner des témoins à comparaître, recueillir des preuves sous serment et exiger des documents. Le gouvernement décide de rendre public ou non le rapport. La plupart des rapports sont déposés à la Chambre des communes au moment où ils sont rendus publics.

L’Assemblée nationale du Québec peut créer des commissions spéciales dont le champ d’intervention correspond, peu ou prou, à celui des commissions d’enquête dans les autres parlements. Des commissions parlementaires spéciales peuvent ainsi être créées par la loi et certaines de ces commissions peuvent être élargies à des non parlementaires tout en étant soumises aux règles de la procédure parlementaire.

15.- Les autres moyens de contrôle

La nomenclature des procédures et outils de contrôle s’achève avec une catégorie d’instruments qui dépasse la portée du contrôle parlementaire au sens où celui-ci est traditionnellement entendu. Ces moyens particuliers permettent aux parlements d’aller au-delà des missions traditionnelles normalement confiées aux commissions permanentes ou spéciales ou aux instances d’investigation, moyennant des enceintes spécialisées plus « horizontales », des méthodes de travail plus souples et plus diversifiées et, dans une certaine mesure, une approche plus consensuelle.

Force est néanmoins de constater que ces instruments, en tant que catégorie spécifique, sont encore peu développés.

Ainsi, on a vu que les outils du contrôle « traditionnel » donnaient déjà la possibilité à certaines assemblées d’en repousser les frontières en direction de l’information et de l’expertise sur des sujets d’intérêt général, que ce soit au travers des missions d’information, dans les parlements continentaux, ou des comités et commissions permanents ou spéciaux, voire des commissions royales ou des commissions spéciales, dans les parlements de tradition britannique. On ne reviendra donc pas sur cette possibilité, d’autant que la polyvalence de ces outils et procédures rend aléatoire la différenciation tranchée entre ce qui relève du contrôle normal et ce qui va au-delà.

De fait, les parlements sont peu nombreux à s’être dotés d’instruments sui generis, au service d’une approche extensive du contrôle parlementaire.

Au Québec, la Commission de l’administration publique, déjà mentionnée, se consacre uniquement au contrôle de l’administration publique. Présidée par un député de l’opposition, elle n’exécute, contrairement aux commissions sectorielles, aucun travail législatif, ses principaux mandats consistant à entendre les sous-ministres et les dirigeants d’organismes publics sur leur gestion administrative, à procéder à la vérification des engagements financiers et à entendre le Vérificateur général sur son rapport annuel de gestion. De plus, l’Assemblée peut lui demander d’étudier tout sujet en rapport avec la gestion gouvernementale.

Comme on le constate, le tropisme reste nettement financier, même si les méthodes débordent le cadre du contrôle effectué par les commissions des finances dans les autres parlements et participent davantage au concept d’imputabilité, notion d’inspiration anglo-saxonne en vertu duquel les donneurs d’ordre responsables de deniers publics doivent rendre compte de leur gestion.

Outre cette commission, l’Assemblée nationale du Québec peut compter sur le concours d’institutions publiques qui contribuent au contrôle parlementaire : Vérificateur général, qui vérifie les états financiers et procède à une évaluation de l’utilisation des ressources publiques ; Protecteur du citoyen, équivalent de l’ « ombudsman » scandinave ; commissaire au Lobbyisme. Des organismes comparables existent dans d’autres régimes parlementaires, mais au Québec, et il en est de même pour leurs homologues au niveau fédéral et dans les autres législatures canadiennes, ces « Officiers du parlement » ou « personnes désignées » par le parlement et qui lui rendent compte, sont considérés comme exerçant des pouvoirs relevant de l’Assemblée et qu’elle pourrait assumer elle-même. En ce sens, ils constituent à proprement parler un instrument du contrôle parlementaire, contrairement aux instances telles que le Médiateur de la République en France.

En Suisse, le « Contrôle parlementaire de l’administration » (CPA), dont on a vu qu’il jouait un rôle important en matière de contrôle financier, peut également être amené à développer une approche plus horizontale à l’égard des politiques publiques.

Mais c’est en France que la diversification des outils semble la plus poussée. De fait, le parlement français peut désormais s’appuyer sur une large gamme de procédures et d’instances spécialisées dans l’analyse, l’étude et l’expertise. Notons d’ores et déjà que cette liste n’épuise pas le sujet, d’autres mécanismes étant, en outre, spécifiquement consacrés à l’évaluation des politiques publiques, sur lesquels on reviendra (cf. infra)

Tout d’abord, soucieux de développer leurs capacités d’expertise autonome, mais aussi de contourner la limitation à six du nombre des commissions permanentes imposée alors par la Constitution, l’Assemblée nationale et le Sénat ont créé des « délégations parlementaires ».

Entre 1979 et 2007, le législateur a mis sur pied six délégations : la délégation pour les problèmes démographiques (1979) ; la délégation pour les Communautés européennes (1979), transformée en 1994 en délégation parlementaire pour l’Union européenne ; la délégation pour la planification (1982) ; la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1999) ; la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire, (1999) ; la délégation au renseignement (2007).

La révision constitutionnelle de juillet 2008 et les modifications des règlements des assemblées ont conduit à la création, dans les deux chambres, d’une commission chargée des affaires européennes en lieu et place des délégations pour l’Union européenne.

En 2009, certaines délégations n’ayant plus lieu d’être, par exemple en raison de la création de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ou n’ayant plus d’activité, leur nombre a été réduit.

Demeurent aujourd’hui la délégation au renseignement commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, déjà évoquée, et, dans chaque assemblée, celles aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Ces dernières délégations ont pour mission d’informer des conséquences de la politique suivie par le Gouvernement au regard des droits des femmes et de l’égalité des chances. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois et peuvent, notamment, être saisies sur les projets et propositions de loi soit par les Bureaux, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ou par une commission permanente ou spéciale. En ce qui la concerne, la délégation de l’Assemblée nationale a publié de nombreux rapports relatifs à la parité en politique, les droits civils et sociaux, la protection contre les violences conjugales...

Le deuxième instrument spécifiquement dédié à l’expertise trouve son origine, dans les débats sur les orientations des politiques scientifiques. Le Parlement ayant constaté qu’il n’était pas en mesure d’apprécier les décisions du Gouvernement dans ce domaine, il a été décidé de créer un outil d’expertise autonome, « l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques » (OPECST).

Cet organisme est commun à l’Assemblée nationale et au Sénat. Sa présidence est alternativement assurée par un membre de l’une ou l’autre assemblée, pour trois ans. Il est assisté d’un conseil scientifique.

L’OPECST peut être saisi soit par le Bureau de l’une ou l’autre assemblée - à son initiative, à la demande d’un président de groupe politique, ou encore à la demande de soixante députés ou de quarante sénateurs - soit par une commission spéciale ou permanente. La saisine donne lieu à la nomination d’un rapporteur qui peut organiser des auditions privées ou publiques, effectuer des missions et constituer un groupe de travail composé de personnalités extérieures au Parlement. La loi donne à ses rapporteurs des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place.

Depuis la création de l’OPECST, près de cent vingt rapports ont été publiés sur des sujets extrêmement variés : l’évolution du secteur de la micro/nanoélectronique, les risques et dangers pour la santé humaine de substances chimiques d’usage courant, l’apport de la recherche à l’évaluation des ressources halieutiques et à la gestion des pêches... Par ailleurs, diverses lois prévoient en outre une évaluation par l’Office de la mise en œuvre de tout ou partie de leurs dispositions.

Enfin, depuis 2003, à l’Assemblée nationale, la Conférence des présidents peut créer des missions d’information sur proposition du Président. Cette procédure confère une autorité particulière à des travaux qui portent sur des sujets sensibles ou des thèmes d’actualité, d’autant que le Président a la possibilité de présider la mission.

Les travaux prennent la forme d’auditions et éventuellement de déplacements. Leurs rapports peuvent donner lieu à un débat sans vote en séance. Quinze missions de ce type ont été mises sur pied depuis la création de la procédure. Certaines d’entre elles se sont conclues par le dépôt d’une proposition de loi (mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie) ou d’un projet de loi (missions d’information sur les signes religieux à l’école et sur la famille et les droits des enfants). La dernière en date, créée en mars 2010, porte sur les raisons des dégâts occasionnés par la tempête Xynthia.

2.- DES APPROCHES DU CONTROLE DIFFERENCIEES, MODELEES PAR LE ROLE CONFIE À L’OPPOSITION.

Attributaires d’une panoplie plus ou moins large de procédures, d’outils et d’enceintes destinés à l’exercice des missions de contrôle, les différents parlements peuvent être rattachés à un « modèle » de contrôle privilégié plutôt qu’à un autre au vu de la manière dont ils en mobilisent tout ou partie.

Certes, cet exercice de catégorisation n’est pas sans limite dans la mesure où les contributions, hormis quelques très rares cas, n’apportent que des éléments théoriques, sachant que l’activité de contrôle est, à l’instar de beaucoup d’activités parlementaires, largement orientée par la pratique et les coutumes. De fait, la superposition des instruments peut traduire une capacité théorique à mettre en oeuvre d’importants moyens au service du contrôle parlementaire, mais elle peut également s’apparenter à un trompe l’oeil si la volonté politique de s’en servir fait défaut. Inversement, une gamme resserrée de procédures peut en réalité masquer un réel dynamisme du contrôle parlementaire, alimentée par une culture de la vigilance et une opposition en état de jouer sa partition.

Pour autant, on s’attachera à mettre en évidence des « préférences » pour un type de contrôle parlementaire, en partant du principe que la nature des procédures, leur densité et leur évolution traduisent à tout le moins des tendances institutionnelles et que la place réservée à l’opposition parlementaire est de nature à les conforter.

21.- La place faite à l’opposition parlementaire

De prime abord, on peut considérer que la place occupée l’opposition au sein du Parlement et les droits qui lui sont reconnus déterminent, pour une bonne part, l’effectivité du contrôle parlementaire.

Somme toute, l’ensemble des parlements francophones se réclament, à quelques exceptions et nuances près, de systèmes institutionnels qui possèdent tout ou partie des attributs des régimes parlementaires. Dans un régime de cette nature, la majorité joue un rôle essentiel dans la fonction législative puisqu’au minimum elle soutient le gouvernement dans la mise en œuvre de son programme - dans les parlements de type britannique, porteurs de la tradition la plus « classique » du régime parlementaire, gouvernement et parlement participent tous deux à la fonction législative - l’opposition, de son côté, étant, en contrepartie, appelée à jouer un rôle moteur dans le contrôle de son action. Bien entendu, la majorité n’est pas interdite de contrôle, il s’agit d’une mission au cœur du mandat représentatif, pas plus que l’opposition n’est en théorie exclue du processus législatif. Il reste que la répartition des rôles entre majorité et opposition constitue une ligne directrice qui permet de garantir l’équilibre des délibérations démocratiques. C’est d’ailleurs ce constat qui justifie l’observation selon laquelle, dans un régime parlementaire, la revalorisation du Parlement dépend au moins autant d’un renforcement des droits de l’opposition que d’un rééquilibrage entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Dans ces conditions, il est tentant d’apprécier la « performance » du contrôle parlementaire, quelle qu’en soit la forme, à l’aune de la place qu’occupe l’opposition dans le fonctionnement et la vie des assemblées francophones.

Est ainsi posée la question du statut de l’opposition, souvent débattue, mais rarement réglée.

De fait, à la lecture des contributions, la reconnaissance formelle de la place de l’opposition dans les délibérations parlementaires reste très peu répandue. Plus précisément, au delà des pétitions de principe, l’opposition ne bénéficie que rarement d’un ensemble de droits et prérogatives traduisant dans les faits une place clairement identifiée dans le fonctionnement et le travail quotidiens des assemblées et lui donnant vocation à jouer un rôle moteur dans l’exercice de certaines fonctions spécifiques.

C’est dans les parlements de type britannique que l’opposition bénéficie d’un véritable statut. Cette situation résulte de la manière dont le régime parlementaire y fonctionne, l’opposition ayant pour fonction naturelle de former une alternative – d’où le concept de gouvernement « fantôme » - et donc de contester la politique du gouvernement. Elle s’explique aussi par les effets induits d’un mode de scrutin uninominal à un tour qui y est en vigueur, qui pousse au bipartisme et à la confrontation bipolaire dans l’enceinte parlementaire. Elle n’est pas sans lien, enfin, avec la culture du consensus ou, à tout le moins, de la négociation, qui parcourt souvent la vie politique.

Concrètement, ce principe se décline principalement par la reconnaissance, à la fois par la coutume, la pratique et par les textes, d’un rôle privilégié reconnu au groupe politique le plus important de l’opposition, qualifiée « d’opposition de sa majesté » au parlement fédéral du Canada ou d’opposition officielle au Québec, qui bénéficie, de fait ou de droit, d’une sorte de « discrimination positive » tant vis-à-vis du groupe formant le gouvernement que des autres groupes d’opposition.

Au Canada comme au Québec, la prééminence accordée à l’opposition officielle et à son Chef se traduit, bien sûr, par la place réservée à ce dernier dans la salle des séances, en face du premier ministre. Elle s’exprime aussi par des temps de parole au moins équivalents à celui du gouvernement dans les débats, qui bénéficie au chef de l’opposition ou, le plus souvent, à un porte-parole sectoriel, par une attribution privilégiée des questions au gouvernement et par la participation active aux instances dirigeantes des chambres, plusieurs présidences de comités ou de commissions lui étant accordées. Ainsi au Québec, c’est la Commission de l’Assemblée nationale qui décide quelles commissions sont présidées par l’opposition. Actuellement, cette dernière assure la présidence de trois commissions sectorielles sur neuf, auxquelles s’ajoute la commission de l’administration publique, statutairement présidée par l’opposition.

Au parlement fédéral, le chef de l’opposition se voit aussi reconnaître des privilèges particuliers, tels que demander la prolongation de l’étude en comité de tel ou tel ministère ou être obligatoirement consulté sur un certain nombre de décisions gouvernementales ou de nominations. A l’Assemblée nationale du Québec, l’accent est mis sur la multiplication des fenêtres d’expression politique mises à disposition de l’opposition, dont au premier chef l’opposition officielle, qui bénéficie ainsi, comme on le verra ci-après, d’une visibilité politique considérable.

Jusqu’à peu, aucun autre parlement francophone ne poussait aussi loin la reconnaissance du rôle spécifique de l’opposition à travers des prérogatives statutaires, procédurales et politiques, même si quelques cas méritent d’être évoqués.

Ainsi, en Belgique, l’opposition ne peut s’appuyer sur un statut à proprement parler, mais la répartition proportionnelle systématique de l’ensemble des postes et fonctions dirigeantes lui confère à la fois visibilité et capacité d’expression. Au Cap Vert, assemblée qui fonctionne grosso modo sur le modèle britannique, l’opposition se voit explicitement reconnaître des droits en matière d’information, d’expression politique et de contrôle. Au Luxembourg, l’opposition préside deux commissions et peut bénéficier de temps de débats protégés. Un sort particulier doit être réservé au Parlement Suisse dans lequel la distinction entre majorité et opposition n’y a pas réellement de portée, les quatre grands partis participant ensemble au gouvernement au vu de leurs résultats électoraux.

Le cas de la France est particulier. Dans le cadre d’un fait majoritaire particulièrement prégnant, le parlement y avait engagé depuis plusieurs années, non sans lien avec la multiplication des alternances, des efforts pour renforcer les droits de l’opposition. Toutefois, depuis la réforme de la Constitution de l’été 2008 et, subséquemment, des règlements des assemblées, une évolution, du moins dans les textes, est perceptible.

De fait, jusqu’en 2008, les textes ignoraient la notion d’opposition, seuls partis et groupes politiques ayant le droit de cité. En l’absence de texte, l’opposition parlementaire bénéficiait des mêmes droits que les autres groupes. Participant aux organes dirigeants sur une base peu ou prou proportionnelle, l’opposition y était toujours minoritaire et, par exemple, ne disposait, sauf exception, d’aucune présidence de commissions. De même, sa capacité à susciter des débats était très limitée, questions au gouvernement et séances d’initiative parlementaire étant réparties à la proportionnelle des groupes.

Les quelques avancées progressivement engrangées avaient concerné les activités de contrôle, où, il est vrai, l’opposition s’était vue reconnaître une place croissante. En particulier, celle-ci avait été associée davantage au fonctionnement des misions d’information créées par les commissions ou par la Conférence des Présidents (cf. supra). On mentionnera aussi la composition paritaire de la Mission d’évaluation et de contrôle et de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, coprésidées par la majorité et l’opposition. Il reste que les leviers essentiels entre les mains de l’opposition étaient la possibilité pour soixante députés ou sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel et, lorsque le gouvernement était de gauche, de s’appuyer sur le Sénat, traditionnellement à droite.

Aux termes des réformes de 2008-2009, ce constat peut être réexaminé du fait de la reconnaissance constitutionnelle de « droits spécifiques » aux groupes minoritaires et à ceux d’opposition, à charge pour ces derniers de se déclarer comme tels.

A l’Assemblée nationale, la levée de ce « verrou » a permis l’adoption de nombreuses mesures.

Au chapitre de la représentation de l’opposition, la présidence de la commission des finances appartient de droit à un député issu de ses rangs. Les missions d’information de deux membres doivent désormais comprendre un député d’opposition. Les deux fonctions exécutives d’une commission d’enquête, d’une mission d’information ou d’une mission d’information créée par la Conférence des présidents sont partagées, la fonction de président ou celle de rapporteur étant confiée à un député d’opposition.

Sur le plan de l’expression politique, l’innovation la plus visible concerne les questions puisque, désormais, la moitié des questions au Gouvernement est posée par des députés d’opposition, la première étant, en outre, posée par un groupe d’opposition ou minoritaire ; la même règle prévaut pour les questions orales sans débat et pour les « questions à un ministre » tenues durant la semaine de contrôle et d’évaluation.

Lors des déclarations du gouvernement et pour les débats organisés lorsque le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement, le temps est attribué pour moitié aux groupes d’opposition.

Alors que les dispositions antérieures organisaient deux séances par mois réservées à un ordre du jour fixé par chaque assemblée, mais sans garantie pour les groupes d’opposition qui, en pratique, ne disposaient que de huit séances par an, une journée de séance par mois est maintenant réservée aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Au surplus, chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire a droit à l’inscription d’un sujet d’évaluation ou de contrôle à l’ordre du jour de la semaine réservée à cet exercice.

Enfin, les droits de l’opposition ont également été renforcés dans les débats législatifs, le « temps législatif programmé », fixant des délais pour l’examen des textes en séance, étant mis en oeuvre selon des modalités qui garantissent l’expression de tous les groupes, en particulier celle des groupes d’opposition et des groupes minoritaires.

La panoplie de mesures est impressionnante et contribue à mettre indubitablement en place un statut de l’opposition parlementaire. Cependant, au-delà de l’effet quantitatif, il est encore tôt pour juger de leur impact concret. D’une part, comme on l’a dit, la place de l’opposition est autant affaire de culture et de pratique politique que de règles de procédures. D’autre part, la reconnaissance - avérée – de droits au profit de l’opposition doit se lire à l’aune d’un système parlementaire dont l’équilibre est encore incertain, la revalorisation du parlement français étant singulièrement marquée par le poids conféré au groupe majoritaire, peut être plus que par un rééquilibrage entre la majorité et l’opposition.

22.- Des modèles types de contrôle

Les observations qui précèdent ne doivent pas donner lieu à une « surinterprétation ». En d’autres termes, l’absence d’un statut ou d’un ensemble cohérent de règles reconnaissant des prérogatives à l’opposition n’empêche pas un certain degré de contrôle parlementaire ; en sens inverse, un empilement de procédures ne garantit pas en toute circonstance la réalité et l’intensité du contrôle.

A ce stade, on admettra néanmoins que, s’agissant des parlements de l’espace francophone, la prise en compte simultanée de la consistance de l’arsenal à la disposition des parlementaires pour effectuer leur travail de contrôle et du rôle reconnu à l’opposition permet à tout le moins de caractériser une inclination et l’accent mis sur un modèle de contrôle. Cela ne signifie pas que ce « contrôle privilégié » soit exclusif de toute autre forme de contrôle, mais que le parlement concerné tend à mobiliser des moyens pour être plus performant dans la réalisation de certaines missions plutôt que d’autres.

A cet égard, force est de constater que la différence entre parlements de type britannique et parlements continentaux, atténuée dans l’analyse des procédures de contrôle, retrouve une certaine force, même si des inflexions se dessinent et que des convergences s’opèrent.

Le premier modèle est celui du contrôle parlementaire « standard », pratiqué par la majorité des parlements objets de l’étude.

Dans ces derniers, le contrôle repose sur les outils traditionnels du contrôle politique, à savoir les procédures de mise en cause de la responsabilité du gouvernement, les mécanismes d’information de l’Assemblée à l’initiative du gouvernement et la possibilité pour les parlementaires d’interroger périodiquement et publiquement le gouvernement. S’y ajoutent le contrôle budgétaire, généralement confié à une commission spécialisée, et la possibilité de diligenter des enquêtes parlementaires bénéficiant de moyens d’investigation. Enfin, selon une intensité variable, certaines de ses assemblées peuvent aussi être habilitées à se pencher sur des sujets d’intérêt général, dans le cadre des activités normales des commissions permanentes. Comme on le constate, la consistance du contrôle est potentiellement assez large, étant entendu que, dans ce cadre, les configurations propres à chaque parlement relèvent davantage de différences de degré que de différences de nature.

Ce modèle s’accommode d’une reconnaissance limitée du rôle de l’opposition : elle y est le plus souvent présentée comme le contrepoids naturel du gouvernement et de la majorité, mais elle ne bénéficie ni d’un statut ni d’un bloc cohérent de prérogatives spécifiques. Si elle peut disposer de quelques droits ponctuels (présidences d’organes notamment), l’opposition reste fondamentalement un groupe ou un ensemble de groupes parlementaires parmi les autres, sa visibilité et sa participation au contrôle parlementaire ne dépendant, en dernier ressort, que du rapport de force démographique.

Pour autant, c’est par les activités de contrôle que les évolutions s’opèrent. Sans doute parce qu’elles sont considérées comme porteuses de moins d’enjeux politiques, c’est par ce biais que l’opposition gagne le plus souvent, des marges de manœuvre dans les parlements continentaux. De ce point de vue, le cas français est particulièrement éclairant, la participation croissante de l’opposition aux missions d’information représentant à la fois l’opportunité d’une visibilité accrue et une des explications du succès croissant et du dynamisme de ce type de contrôle.

Le second modèle est celui de la primauté du contrôle « en temps réel » de l’action gouvernementale.

Ce modèle, qui est essentiellement celui des parlements de type britannique, est favorisé, d’abord, par les caractéristiques fondamentales du régime, dans lequel, en théorie, l’équilibre s’établit entre un gouvernement qui peut mener sa politique législative à sa guise et une opposition qui a la responsabilité d’assurer le contrôle permanent de son action, ensuite par un statut de l’opposition solidement enraciné et garanti, enfin par une culture politique qui fait, autant que faire se peut, une place à la négociation et aux concessions en vue de gains politiques même mineurs.

La prégnance du suivi politique quotidien est de mise aussi bien au parlement fédéral du Canada qu’à l’Assemblée nationale du Québec, où elle s’y illustre tout particulièrement.

Si l’on récapitule l’ensemble des fenêtres d’expression politique évoquées dans les pages précédentes, la liste ressort particulièrement longue : questions d’actualités chaque jour de séance ; débats de fins de séance donnant suite aux questions ; interpellations hebdomadaires ; débats hebdomadaires à l’initiative de l’opposition….Sachant que chacune de ces procédures a la caractéristique d’être largement maîtrisée par l’opposition – la quasi-totalité des questions d’actualité lui est accordée - cette dernière dispose des moyens qui lui permettent de réagir, au jour le jour, aux actions gouvernementales.

En d’autres termes, l’opposition a la faculté de se saisir d’un sujet d’actualité et de mobiliser une batterie d’outils pour l’évoquer chaque jour de séance si nécessaire, selon des angles et des modalités différents, captant ainsi à son profit une partie non négligeable de l’agenda parlementaire. Cette capacité de l’opposition de pouvoir réagir en temps réel à une question ou à un événement et de gérer la communication y afférant sur une longue période – assimilable à un véritable « marquage » politique pour utiliser une métaphore sportive - caractérise le contrôle politique quotidien que l’on observe, peu ou prou, dans l’ensemble des législatures canadiennes.

Cette forte présence du contrôle politique n’empêche pas la mise en œuvre des autres formes de contrôle parlementaire. En particulier, comme on l’a vu, les parlements du type britannique déploient beaucoup d’efforts pour rendre effectif le contrôle budgétaire et financier, en faveur duquel ils se dotent d’outils et de méthodes sophistiqués afin de tendre vers une véritable imputabilité des gestionnaires de fonds publics devant la représentation nationale. Ils investissent également, mais encore sporadiquement, le champ de l’évaluation des politiques publiques. Cependant, la loi du calendrier parlementaire est contraignante et, entre le travail législatif effectué dans les comités et commissions et les exigences du contrôle quotidien du gouvernement, la marge de manœuvre n’est pas indéfiniment extensible.

L’analyse des contributions ne met pas en évidence d’autres exemples de parlements francophones mettant autant l’accent sur le contrôle politique en temps réel de l’action gouvernementale. Certes, quelques unes des réformes récemment mises en œuvre en France amorcent une évolution en ce sens - l’opposition bénéficie de la moitié des questions, de la moitié du temps de parole lors des déclarations du gouvernement et de la journée mensuelle qui lui est réservée ainsi qu’aux groupes minoritaires – mais celle-ci reste mesurée et participe davantage d’une mise à niveau des créneaux d’expression que d’une capacité nouvelle à maîtriser au fil de l’eau une partie de l’agenda pour réagir à l’actualité.

Enfin, le troisième modèle est celui du dépassement des fonctions de contrôle du gouvernement au profit de l’évaluation des politiques publiques. Au sein des parlements francophones, il est tout particulièrement observable en Suisse et en France, même si d’autres parlements se livrent, de manière occasionnelle, à des exercices de cette nature.

En Suisse, le « contrôle parlementaire de l’administration » (CPA), que l’on a déjà évoqué au chapitre du contrôle budgétaire et financier, est, au-delà de ces missions somme toute traditionnelles et de son intitulé un peu réducteur, l’instrument par lequel s’opère cette évolution.

Bien qu’intégré aux services du Parlement, le CPA travaille de manière indépendante sur les mandats qui lui sont confiés par les commissions parlementaires. Il coordonne ses activités avec celles des autres organes de contrôle de la Confédération et entretient des contacts avec les universités, les instituts de recherche privés et les enceintes publiques d’évaluation étrangers. Il a le droit d’interroger directement les autorités ou personnes assurant des tâches pour le compte de la Confédération et d’obtenir qu’elles lui remettent tous documents sans que le secret lui soit opposable ; il peut également recourir aux services d’experts extérieurs.

En fait, le CPA est devenu le « centre de compétences » de l’Assemblée fédérale en matière d’évaluation, comme le traduisent certains de ces mandats passés ou en cours : pilotage de la politique du personnel de la Confédération, collaboration entre l’administration et les ONG, sélection des cadres supérieurs par le Conseil fédéral, assurances sociales….

En France, la montée en puissance des démarches d’évaluation des politiques publiques dans le travail parlementaire s’observe depuis la fin des années quatre-vingt dix.

Plusieurs facteurs ont pu concourir à cette tendance : sans prétendre à l’exhaustivité, on évoquera les « frustrations » créées par le travail législatif dans le cadre du fait majoritaire et du parlementarisme rationalisé, l’influence des pratiques à l’œuvre outre-manche et outre-atlantique, la possibilité d’associer l’opposition à un travail parlementaire sans enjeux politiques immédiats…

Dans le prolongement d’un groupe de travail sur le contrôle parlementaire et l’efficacité de la dépense publique, la première traduction concrète de cette orientation fut la création, en 1999, au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale, d’une « mission d’évaluation et de contrôle » (MEC). Il s’agit d’une sorte de mission d’information permanente, co-présidée par la majorité et l’opposition, dont la mission première est d’évaluer des politiques sectorielles, ce qui la distingue, par exemple, de la commission de l’administration publique québécoise, davantage centrée sur les problématiques d’imputabilité des responsables d’organismes publics.

La MEC travaille en collaboration avec la Cour des comptes. Ses rapports sont confiés à deux ou trois députés, ce qui permet d’associer l’opposition. Elle procède à des auditions publiques, des déplacements et adresse des questionnaires. Elle peut convoquer des témoins et se faire communiquer tous documents. Ses conclusions sont soumises à la commission des finances qui décide ou non de leur publication.

Sur le même modèle, a été créée, en décembre 2004, la « mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) », chargée de suivre l’application des lois de financement de la sécurité sociale et de procéder à l’évaluation de toute question relative aux finances de la sécurité sociale.

La place croissante occupée par l’évaluation des politiques publiques a cependant été consacrée par la dernière révision constitutionnelle, aux termes de laquelle, outre le vote de la loi et du contrôle de l’action du gouvernement, le Parlement « évalue les politiques publiques ». Selon la rédaction de la Constitution, l’évaluation ne constitue donc plus une simple dimension du travail de contrôle, mais bien une nouvelle mission à part entière incombant au parlement.

A côté des nombreux outils existants, l’Assemblée, pour sa part, a souhaité se doter d’un « bras armé » dédié à cette nouvelle fonction.

Créé en 2009, le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) est une instance qui, d’une part, conduit des évaluations de politiques publiques, et, d’autre part, apporte son expertise sur les études d’impact qui accompagnent les projets de loi.

Présidé par le Président de l’Assemblée nationale, le CEC, comporte des membres de droit dont les présidents des commissions permanentes, ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et de la délégation parlementaire aux droits des femmes ainsi que les présidents des groupes politiques. La composition du comité reproduit la configuration politique de l’Assemblée nationale.

Les missions de ce nouvel organisme sont d’évaluer des politiques publiques transversales, chaque groupe pouvant obtenir de droit la réalisation d’une évaluation par session ordinaire, d’être tenu informé des conclusions des missions d’information, de donner un avis sur les études d’impact des projets de loi et de formuler des propositions pour l’ordre du jour de la semaine réservée par priorité au contrôle et à l’évaluation.

Le programme de travail du CEC pour 2009-2010 porte sur l’application du principe de précaution, la politique d’aide aux quartiers défavorisés et l’efficacité des autorités administratives indépendantes.