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Chapitre VII. les différentes catégories de lois

Synthèses

par Rémi Schenberg

Lieux de parole, de débat et, d’une manière générale d’expression politique, les assemblées des régimes parlementaires représentatifs sont, avant tout, des instances dont la vocation première est de délibérer en vue d’adopter des lois, entendues comme les normes censées exprimer la volonté générale, s’imposer à tous et régir tous les aspects, du moins les plus importants, de la vie des sociétés.

À partir de cette fonction essentielle, les Parlements de l’espace francophone, comme toutes les autres assemblées législatives dans le monde, ont diversifié leur mode opératoire : « la » loi, conçue comme un instrument juridique unique et global, a progressivement fait la place « aux » lois. Au fur et à mesure de la sophistication croissante de l’ingénierie institutionnelle, des catégories de lois sont apparues, caractérisées par des domaines circonscrits, des procédures dérogatoires, voire une place spécifique dans la hiérarchie des normes. Parallèlement, les assemblées se sont souvent dotées du pouvoir d’adopter des textes dont la portée contraignante apparaît beaucoup plus indistincte – motions, résolutions, déclarations …- et qui participent davantage d’une fonction d’expression politique que d’une capacité normative.

De fait, aujourd’hui, les Parlements francophones sont presque tous invités à se saisir d’une large panoplie d’instruments juridiques dont le spectre s’étend des lois constitutionnelles, au sommet de la hiérarchie des normes, aux lois ordinaires. La grande majorité d’entre eux connaît aussi des lois dont l’objet est spécialisé – il s’agit, notamment, des lois portant budget ou des lois de finances - ou des lois dotées d’un statut spécifique, souvent soumises à une procédure contraignante, à l’instar du modèle français des lois organiques. Enfin, beaucoup peuvent adopter des actes unilatéraux qui expriment le point de vue de l’assemblée concernée sur une question particulière.

Cette sophistication reste néanmoins propre aux Parlements de tradition continentale. Ceux d’inspiration britannique se distinguent, une fois de plus, en présentant une gamme de normes plus ramassée, tant au regard de leur portée juridique que de la procédure entourant leur adoption ; en revanche, ils gèrent une distinction qui n’a cours nulle part ailleurs entre lois d’intérêt public et lois d’intérêt privé.
La présente synthèse laissera volontairement de côté la catégorie de textes particuliers que constituent les lois référendaires, lorsqu’elles sont entendues comme les lois issues d’un referendum législatif sans intervention parlementaire. De fait, ces lois ne sont pas évoquées dans les contributions, à l’exception de celles émanant des assemblées françaises. Elles seront, en revanche, mentionnées lorsqu’elles traduisent la ratification populaire d’un processus législatif. Tel est notamment le cas en matière constitutionnelle où le peuple est souvent considéré comme le constituant suprême.


1.- UNE PANOPLIE D’INSTRUMENTS LEGISLATIFS DIVERSIFIES ET SPECIALISES DANS LES PARLEMENTS CONTINENTAUX.

Les Constitutions et Règlements qui organisent le travail législatif des assemblées francophones de tradition continentale mettent en place, le plus souvent, plusieurs types d’actes législatifs qui correspondent essentiellement soit à des secteurs particuliers, soit à des modes d’intervention spécifique. Dans la plupart de ces Parlements, la typologie des lois se structure, au minimum, autour des textes définissant des normes institutionnelles, des textes à caractère financier, des lois « ordinaires » et, parfois, de ceux par lesquels les assemblées délèguent au pouvoir exécutif leurs prérogatives législatives.

Une place à part peut être faite à la Belgique, qui, dans un contexte de fédéralisme complexe, sans ignorer les catégories « classiques », fait néanmoins prévaloir des distinctions entre les lois basées, d’une part, sur les règles de majorité auxquelles elles sont soumises et, d’autre part, sur leur contenu, ces deux critères étant souvent croisés.

11.- Les lois à vocation institutionnelle

Dans un environnement marqué par la prépondérance du droit écrit, les Parlements qui se rattachent à la tradition continentale disposent, dans leur grande majorité, du pouvoir constituant, qu’ils exercent, le cas échéant, concurremment avec le peuple. De fait, les institutions prévoient parfois que les révisions constitutionnelles peuvent être directement soumises au referendum – tel est le cas par exemple au Congo pour les projets constitutionnels émanant du Président. Mais, le plus souvent, comme on le verra plus loin, le referendum vient ratifier le processus parlementaire.

Ce pouvoir s’exerce par des lois constitutionnelles, dont l’initiative peut être présidentielle, gouvernementale ou parlementaire. Parmi les sections ayant adressé des contributions, seul le Parlement marocain ne prend pas part à ce processus et ignore cette catégorie de lois, le pouvoir constituant ne lui appartenant pas.

Une fois en vigueur, les textes constitutionnels sont rigides : les amendements à la Constitution, a fortiori s’il s’agit d’en élaborer une nouvelle, requièrent une procédure toujours plus contraignante que celle prévue pour les lois ordinaires. Lorsque le Parlement se prononce, une majorité qualifiée est alors nécessaire.

Dans certains pays, le processus constitutionnel reste uniquement parlementaire, les assemblées statuant toujours en dernier ressort. Tel est le cas en Hongrie, en Macédoine et au Togo, si une majorité des 4/5ème des députés est réunie. Mais le plus souvent, le Parlement n’intervient que comme instance de délibération préparatoire, le projet issu des assemblées ne devenant définitif qu’une fois ratifié par le peuple souverain. Cette ratification populaire peut être systématique (Andorre, Congo) ou optionnelle : en France, si la ratification populaire est la règle en droit, les projets constitutionnels peuvent être soumis à l’Assemblée nationale et au Sénat réunis en Congrès, ce qui est de loin le cas le plus fréquent, où une majorité des 3/5èmes est alors requise ; un système équivalent est en vigueur à Madagascar. Au Luxembourg, le recours au référendum dépend de l’initiative du quart des députés ou de 25 000 électeurs, alors qu’au Togo, le referendum s’impose si le projet a réuni entre les deux tiers et le 4/5ème des députés.

Beaucoup de dispositions constitutionnelles nécessitent d’autres textes pour être applicables. C’est, en principe, le rôle imparti à ceux qualifiés de lois organiques, qui se caractérisent par une place dans la hiérarchie des normes supérieure aux lois ordinaires et, souvent, par une procédure d’adoption particulière. Celle-ci consiste en des délais spécifiques (France, Congo, Madagascar) et une protection de son champ d’application afin d’éviter de « polluer » leur contenu avec des dispositions qui n’ont pas le caractère organique (France), des règles de majorité plus contraignantes (Andorre, Burkina Faso, France, Hongrie) et, le cas échéant, une saisine systématique de la juridiction constitutionnelle (France, Burkina Faso, Congo, Maroc).

Si des lois organiques sur ce modèle existent dans la plupart des Parlements de type continental, certaines de ces assemblées, sans les méconnaître, ne leur confèrent pas la même signification : au Luxembourg, les lois dites organiques régissent le fonctionnement de certaines administrations moyennant une portée et une procédure identique à celles des lois ordinaires ; en Bulgarie, elles n’ont pas forcément pour objet de mettre en œuvre des dispositions constitutionnelles, comme en Hongrie où elles régissent aussi la police ou les pouvoirs locaux ; au Maroc, les lois organiques, qui traitent de sujet particuliers, sont en nombre limité par la Constitution (neuf).

12.- Les lois à caractère financier

Voter l’impôt et approuver les charges publiques est la prérogative originelle des Parlements, qu’ils mettent en œuvre au moyen de textes appelés indifféremment « lois de finances », « budgets », « lois de crédits »…

Dans leur très grande majorité, les Parlements continentaux assortissent ces lois d’une procédure spéciale. On ne mentionnera qu’une seule exception, la Bulgarie, où les lois de finances ne sont pas considérées comme des actes normatifs, mais comme des actes de gestion.

À cette réserve près, les textes financiers examinés par les Parlements continentaux possèdent des caractéristiques communes :
- une initiative toujours gouvernementale ;
- dans les systèmes bicaméraux, la prépondérance de la chambre basse, saisie, en principe, en premier (France, Madagascar), sauf au Maroc où le Gouvernement est libre de déposer le budget devant l’une ou l’autre chambre ;
- des délais d’examen resserrés, garantissant que les moyens budgétaires seront à la disposition des administrations pour l’exercice à venir ;
- une limitation au droit d’amendement des parlementaires ; les modalités parfois divergent, mais, d’une manière générale, l’objet en est de préserver l’initiative budgétaire de l’exécutif et de prévenir la dégradation des comptes publics (Andorre, France, Hongrie, Maroc….) ;
- dans certains cas, l’intervention préalable d’une autorité financière externe (Hongrie).


13.- Les lois ordinaires

Les Parlements votent naturellement la loi, étant entendu que, à l’exception des assemblées d’Andorre et du Luxembourg, le domaine de cette dernière ne s’étend plus « à l’infini » : la loi n’a plus le monopole de la fixation des normes, certaines d’entre elles relevant également de l’exécutif auquel est reconnu un pouvoir normatif autonome.

Ce mouvement résulte sans doute de la conjugaison de deux facteurs. D’une part, le souci de certains constituants de brider quelque peu le pouvoir des assemblées au profit de l’exécutif en cantonnant leurs champs de compétences législatives à des domaines déterminés. D’autre part, la prise de conscience que la complexité croissante de la société suscite un besoin également croissant de normes elles-mêmes plus sophistiquées qui ne s’accommodent pas facilement des procédures longues qui caractérisent souvent la délibération parlementaire.

L’érosion de l’exclusivité normative traditionnellement reconnue à la loi est particulièrement illustrée par le modèle institutionnel français.
Ce dernier, en effet, a clairement posé, à travers les articles 34 et 37 de sa Constitution de 1958, la séparation de la loi et du règlement selon un schéma juridique « à la française » : dans certains domaines, la loi fixe les règles (il s’agit principalement des libertés publiques et des droits fondamentaux), dans certains autres, elle fixe les principes fondamentaux (collectivités locales, droit de propriété, enseignement, droit du travail….) ; enfin, tout ce qui n’est pas du domaine de la loi relève du règlement.

Cette architecture juridique introduit une rupture fondamentale puisque, au-delà de sa fonction première, l’application de la loi, il est reconnu au pouvoir réglementaire une compétence normative propre, par défaut lorsque la matière n’est pas du domaine de la loi. Il convient toutefois de souligner que cette construction théorique n’a pas empêché, dans la réalité, une extension progressive du domaine de la loi. D’une part, la loi exprime souvent une volonté politique qui ne se satisfait pas nécessairement de la séparation rigide posée par la lettre de la Constitution. D’autre part, le Parlement a pu compter sur une jurisprudence relativement bienveillante du Conseil Constitutionnel qui est venu atténuer les effets d’une interprétation trop stricte des dispositions constitutionnelles.

Ce modèle juridique a largement essaimé dans les assemblées de systèmes institutionnels influencés par le système français. Les mêmes principes valent ainsi, peu ou prou, au Burkina Faso, au Congo, à Madagascar, au Maroc et au Togo.

Il reste que, à l’examen, la séparation des domaines de la loi et du règlement n’est pas loin de constituer la règle de droit commun dans les Parlements de l’espace francophone. La compétence normative du règlement est ainsi également reconnue dans des Parlements éloignés du modèle français, par exemple, en Hongrie où la Constitution fixe expressément les domaines respectifs de la loi et du règlement.

14.- La législation déléguée

Non sans résonance avec les motifs ayant favorisé l’institution d’une séparation entre les domaines de la loi et du règlement, les Parlements francophones de type continental admettent presque tous le principe de la législation déléguée. Ne font exception, au vu des contributions transmises par les sections, que la Suisse et la Bulgarie, de même que le Luxembourg, sauf en cas de crise.

Lorsque le principe est reconnu, le dispositif est, d’une manière générale, semblable : le Parlement habilite le pouvoir exécutif, à la demande de ce dernier, pour une période et dans des domaines prédéterminés, à prendre des mesures – les actes correspondants sont généralement appelés « ordonnances », le Cap-Vert lui préférant le terme de « décrets législatifs » - qui, en théorie, relèvent de sa compétence législative. Dans la très grande majorité des cas, les lois d’habilitation obéissent à la procédure législative de droit commun ; seul le Parlement malgache se distingue sur ce point puisqu’il exige que ces lois soient adoptées à la majorité absolue des membres du Parlement. Les mesures prises en vertu de cette habilitation deviennent caduques si, à l’échéance fixée par la loi d’habilitation, le pouvoir exécutif n’a pas déposé de projet de loi de ratification.
Au-delà de ce panorama général, quelques particularités méritent d’être évoquées.

Ainsi, en Hongrie, des mesures ponctuelles d’habilitation peuvent figurer dans une loi « normale ». Il en est de même en France.
Par ailleurs, certains Parlements connaissent, à côté de la législation déléguée stricto sensu, des mécanismes plus souples : au Maroc, par exemple, le Gouvernement peut ainsi prendre, en dehors des sessions, des « décrets-lois » avec l’aval des commissions parlementaires compétentes, qui doivent être ratifiés à la première session disponible.

15.- Les actes non législatifs

A côté des instruments législatifs stricto sensu en raison de leur statut matériel et organique, certains Parlements disposent d’outils d’un genre particulier : si on peut les considérer comme des outils législatifs dans la mesure où ils émanent d’une assemblée législative, ils n’ont pas la portée d’une loi. A minima, ils régissent des activités internes à l’assemblée qui les adopte ; au maximum, ils sont un moyen par lequel celle-ci exprime un point de vue. Dans tous les cas, ces instruments n’ont pas de vocation normative et se rattachent plutôt à une fonction politique.

De nombreuses assemblées peuvent adopter, selon des modalités diverses, des actes unilatéraux par lesquels elles demandent au Gouvernement d’agir, formulent des recommandations, expriment une position ou un avis sur une question particulière. Ces outils sont dénommés résolutions, recommandations, déclarations, motions… Ils sont reconnus, notamment, en Andorre, en Bulgarie, au Burkina Faso, au Luxembourg, en Macédoine, à Madagascar, au Val d’Aoste.

D’autres assemblées ignorent tout simplement ce concept (Maroc, Suisse, Tunisie), alors que d’autres en retiennent une conception très étroite : en Hongrie, au Congo, en Guinée, au Togo, les Parlements peuvent certes adopter des actes unilatéraux, des résolutions, mais ceux-ci n’ont pour objet que de régir la vie interne des Assemblées. En général, les Règlements des assemblées procèdent de telles résolutions, et celles-ci sont également le véhicule avec lequel sont créées les commissions d’enquête parlementaire.

Cette approche restrictive a, en fait, souvent été inspirée par le modèle institutionnel français issu de la Constitution de 1958 qui, au nom du parlementarisme rationalisé, avait proscrit tous les instruments permettant aux Assemblées d’exprimer une position politique unilatérale ou susceptibles d’entraîner une mise en cause indirecte de la responsabilité gouvernementale en dehors des procédures prévues à cet effet.

Si un premier assouplissement avait conduit, en 1992, à admettre des résolutions aux termes desquelles les assemblées pouvaient exprimer un point de vue sur des projets d’actes européens, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est revenue sur cette approche restrictive. De fait, les assemblées françaises peuvent, désormais, adopter des résolutions dont le champ n’est limité que par les motifs d’irrecevabilité, c’est-à-dire si leur adoption ou leur rejet est de nature à mettre en cause la responsabilité du Gouvernement ou si elles contiennent des injonctions à son égard. De ce point de vue, même si les modalités d’inscription de ces initiatives à l’ordre du jour restent strictement encadrées, le Parlement français tend à se rapprocher des pratiques en vigueur dans la majorité des assemblées francophones.

2.- UNE TYPOLOGIE DE NORMES LEGISLATIVES RESSERREE DANS LES PARLEMENTS DE TYPE BRITANNIQUE

Dans des systèmes marqués par l’importance des règles non écrites, la place faite à la tradition, la common law et aux précédents, il n’est pas surprenant que la typologie des normes susceptibles d’être examinées et adoptées par une assemblée législative y soit plus simple et moins hiérarchisée.

De fait, au regard des catégories de lois, les Parlements francophones de tradition britannique présentent trois caractéristiques, autour desquelles s’organise la différenciation entre les différents actes de la compétence des assemblées législatives : une reconnaissance des normes institutionnelles, une classification des lois qui se résume à distinguer les lois d’intérêt public et celles d’intérêt privé et la place non négligeable occupée par les actes parlementaires de nature non législative.


21.- Les normes institutionnelles

Les assemblées francophones de type britannique n’ignorent pas, contrairement à une idée reçue, les textes constitutionnels écrits et ceux qui leur sont assimilés ou rattachés.

D’une manière générale, dans les systèmes parlementaires de tradition anglaise, ce type de normes désigne l’ensemble des règles qui régissent les organes de l’Etat et les rapports entre ce dernier et les individus qui relèvent de sa compétence. En fait, plutôt que de lois constitutionnelles, il serait plus exact de parler de normes supra législatives, c’est-à-dire de normes qui s’imposent à toutes les autres lois.

Ainsi, la Constitution du Canada, au-delà de ses fondements non écrits et des conventions constitutionnelles qui découlent directement de la filiation britannique de son modèle institutionnel – essentiellement le principe de la suprématie parlementaire et celui de la confiance, selon lequel le Gouvernement doit garder continûment la confiance de la Chambre - est aussi assise sur un certain nombre de lois constitutionnelles. Pour en rester au droit positif, les deux plus importantes sont les Lois Constitutionnelles de 1867 et 1982, cette dernière posant le principe que la Constitution est la loi suprême du Canada.

Les modifications aux textes constitutionnels obéissent à des règles complexes, en fonction des matières et domaines qui en sont l’objet. D’une manière générale, le pouvoir constituant est partagé entre le Parlement fédéral et les provinces : certains amendements supposent un accord unanime entre toutes les provinces et l’Etat fédéral (essentiellement le statut du bilinguisme, le fonctionnement de la Cour suprême et la procédure de révision de la Constitution), mais la procédure de droit commun veut que les amendements constitutionnels requièrent le consentement d’une majorité qualifiée de provinces, soit sept représentant plus de 50% de la population du Canada ; en revanche, ceux qui n’affectent qu’une ou plusieurs provinces sont applicables moyennant l’accord du Parlement fédéral et celui de la ou des législatures concernées.

Puisque le Canada est une fédération, les principes constitutionnels qui découlent des lois précitées s’imposent à chaque province dans ses rapports avec les autres provinces, dans ses rapports avec l’Etat fédéral, mais aussi, le cas échéant, dans ses rapports avec ses citoyens.

En outre, le corpus constitutionnel des Parlements francophones du type britannique peut comprendre aussi, le cas échéant, les lois propres à chaque province.

Au Québec, certaines lois, bien qu’adoptées et modifiables selon les modalités applicables à toute loi publique ordinaire, se sont vues reconnaître, eu égard à leur importance et à leur portée, un statut quasi constitutionnel. Il s’agit de la Charte des droits et libertés de la personne, de la Charte de la langue française, de la Loi électorale et de la Loi sur l’Assemblée nationale.

22.- Les autres lois

En dehors des lois considérées comme constitutionnelles ou supra législatives, la typologie normative dans les assemblées francophones du type britannique se limite à une distinction inconnue dans les parlements de tradition continentale. Les textes législatifs y sont ainsi séparés entre les lois d’intérêt public – les lois « ordinaires » telles qu’elles sont conçues ailleurs – et celles d’intérêt privé.
Les lois d’intérêt public portent sur des mesures d’application générale, qui concernent l’ensemble de la collectivité.

Elles peuvent être d’initiative ministérielle ou parlementaire. Seul un projet d’origine ministériel peut comporter des dispositions d’ordre financier, en vertu du principe constitutionnel du « privilège de la Couronne », ou de l’exécutif, en matière d’initiative financière – point commun avec les principes en vigueur dans les autres Parlements. En théorie, au Parlement fédéral canadien, un projet émanant d’un député peut comporter des incidences financières pour peu qu’il obtienne une « recommandation royale », mais cette éventualité reste rarissime.

Les lois d’intérêt privé, qui représentent un faible pourcentage des textes adoptés, ont pour objet d’accorder à une personne physique ou une personne morale, voire une collectivité publique, un droit, un privilège ou une dérogation. Au Parlement fédéral du Canada, ils ne peuvent émaner d’un ministre et doivent avoir été précédés d’une pétition signée par les personnes intéressées. Lorsqu’ils sont appelés à l’ordre du jour, ils sont débattus pendant la période des travaux consacrée aux affaires des députés. Au Québec, tout député peut présenter un tel projet, à la demande des intéressés. Sous ces réserves, la procédure législative applicable à ces projets est, dans ses grandes lignes, semblable à celle applicable aux projets d’intérêt public (Cf. Chapitre VI, La procédure législative).

Au-delà de cette summa divisio, lois organiques, lois d’habilitation, voire lois de finances, caractérisées par des champs de compétences balisés, des procédures spécifiques et une place particulière dans la hiérarchie des normes, sont des classifications qui n’ont pas cours dans ces assemblées. Toutes les lois, quel que soit leur objet – mesures d’ordre financier, social ou juridique - quelle que soit leur portée – habilitation du Gouvernement à prendre des règlements, ratification d’accords internationaux - sont des projets de loi publics, adoptés selon la même procédure et occupant la même place dans la hiérarchie des normes.

Ainsi, la procédure législative budgétaire en vigueur dans les législatures canadiennes, articulée et structurée autour des lois de finances dans les Parlements continentaux, ne fait pas appel à un instrument juridique particulier. En d’autres termes, les lois de crédits et le budget sont des lois publiques ordinaires, ce qui n’empêche pas que débat budgétaire s’y organise selon des modalités spécifiques, concrètement en deux étapes distinctes.

La première correspond au dépôt du budget des dépenses ou « subsides », qu’ils soient annuels ou supplémentaires, et se traduit par l’adoption de lois qui procèdent à l’affectation des crédits permanents, donc pluriannuels, ou annuels. Sans entrer dans le détail, on précisera que l’examen des crédits par les assemblées, qui débute au printemps (l’exercice budgétaire commence le premier avril), se fait très largement au sein des commissions permanentes, même s’il s’achève par l’adoption d’une loi en bonne et due forme.

La deuxième phase est le « discours du budget », qui est une étape plus politique par laquelle le gouvernement présente sa politique financière et budgétaire et sollicite les recettes, impôts et taxes, nécessaires.

Le débat qui fait suite au discours du budget – qui au Québec se déroule en partie au sein de la commission des finances publiques – se termine par le vote sur la motion du budget, éventuellement amendée.

Au Parlement fédéral du Canada, la présentation du budget et les mesures fiscales se traduisent par la présentation de motions « de voies et moyens », qui visent à obtenir l’approbation parlementaire de la politique budgétaire du Gouvernement et qui énoncent les mesures fiscales proposées. Une fois adoptées, ces motions empêchent l’adoption de tout amendement qui aurait pour effet de porter atteinte à l’initiative financière de la Couronne. C’est sur le fondement de ces motions que le Gouvernement peut présenter des projets de lois de « voies et moyens », soit directement à la suite du budget, soit ultérieurement. Tout projet de « voies et moyens » doit émaner de la Chambre des communes, nouvelle illustration de la prépondérance de la chambre basse en matière financière, qui est de mise dans presque tous les Parlements bicaméraux.

23.- Les actes non législatifs

Les assemblées de type britannique ont, plus que les Parlements continentaux, coutume de se prononcer sur de multiples questions afférentes aux affaires publiques. Il s’agit d’exprimer une opinion, de marquer un événement ou d’ordonner une action. Dans certains cas, ces décisions sont assimilables à des injonctions, proscrites dans les Parlements inspirés par les principes du parlementarisme français.
Ainsi, au Parlement fédéral du Canada, les motions des députés, débattues pendant la période des affaires des députés, prennent la forme de résolutions, visant à faire des déclarations d’opinion ou d’intention, sans ordonner ni exiger de prendre des mesures, ou d’ordres, dans le cas contraire. Un député doit en donner préavis avant sa présentation.

Lorsque les motions visent à demander que le Gouvernement prenne des mesures, ce dernier n’est pas tenu de s’y conformer ou de prendre des mesures particulières, la Chambre ne déclarant qu’une intention. En outre, les députés autres que les ministres ne peuvent pas présenter des motions contenant des dispositions financières, sauf si elles se bornent à les suggérer.

Au Québec, une distinction est effectuée entre les motions de fond, qui ont pour objet de saisir l’Assemblée d’une affaire, et celles de forme qui portent essentiellement sur la procédure (motion d’ajournement de l’Assemblée, du débat….). La plupart des motions de fond doit nécessairement faire l’objet d’un préavis, publié au « Feuilleton » ; toutefois, une phase de la période des « affaires courantes » est consacrée à l’examen de motions de fonds présentées par des députés sans préavis, moyennant le consentement unanime de l’Assemblée.