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Chapitre I. Les sources du droit parlementaire

Synthèses

par Rémi Schenberg

Aborder la question des sources du droit parlementaire dans l’espace parlementaire francophone peut sembler, de prime abord, matière aisée. Somme toute, l’évocation des Constitutions, des lois, des règlements, des précédents et de la jurisprudence pourrait suffire à épuiser le sujet, tant ces instruments de droit, connus, utilisés et généralisés, semblent faire partie du patrimoine juridique commun de tous les régimes parlementaires.

À l’examen, la réalité est toute autre, reflétant la grande diversité des traditions juridiques et parlementaires. Dans chacun des systèmes tels qu’ils apparaissent à la lecture des contributions, on observe des approches différentes, qu’il s’agisse, notamment, de la place des règles non écrites, de la conception de la hiérarchie des normes composant le droit parlementaire ou de l’apport de la jurisprudence constitutionnelle à la formation de ce même droit.

D’une manière générale, au regard des sources du droit qui leur est applicable, les parlements membres peuvent se différencier selon plusieurs grilles de lecture :

- la première oppose les assemblées de droit écrit à celles dans lesquelles la coutume et la jurisprudence parlementaires sont une source à part entière et essentielle du droit parlementaire ;
- la deuxième distingue les assemblées soumises à un ensemble hiérarchisé de normes et qui ont une capacité limitée à élaborer elles-mêmes leurs propres règles de fonctionnement, de celles qui disposent d’une maîtrise, plus ou moins large, sur la production des règles qui les concernent ;
- la troisième, enfin, caractérise les assemblées selon le type de support juridique qui contient les règles les plus importantes du droit parlementaire : celles-ci figurent-elles dans la Constitution ? Dans la Loi ? Dans le Règlement ?

Dans la plupart des cas, ces grilles d’analyse conduisent à mettre en exergue la summa divisio existant au sein des parlements de l’espace francophone, à savoir entre ceux du type britannique, en l’occurrence les législatures canadiennes, et ceux qui se rattachent à l’autre tradition parlementaire « historique », que l’on appellera, par commodité, « continentale ».

De fait, cette division correspond à deux modèles distincts. D’un côté, le modèle continental, majoritairement pratiqué, est celui dans lequel le droit parlementaire est défini par un corpus de règles essentiellement écrites, hiérarchisées et au sommet duquel se trouve la Constitution. Dans ce schéma, le droit parlementaire apparaît, à première vue, relativement peu autonome, même si le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs laisse aux assemblées une marge de manœuvre pour déterminer certaines règles de fonctionnement interne. De l’autre, le modèle britannique, en vigueur dans les sections d’Amérique du nord, est celui dans lequel le droit parlementaire est caractérisé par l’importance des sources non écrites, l’existence des privilèges parlementaires et une réelle autonomie des assemblées pour définir la quai totalité des règles les régissant.

1.- La forme des sources du droit parlementaire

- 11. La tradition continentale : un droit essentiellement écrit

Les parlements qui se rattachent à la tradition continentale réservent une place prépondérante au droit parlementaire écrit, essentiellement au moyen de Constitutions, Lois et Règlements. Dans la plupart d’entre eux, les règles non écrites – usages, pratiques coutumes et précédents - n’occupent qu’une place marginale, voire nulle, dans la formation du droit parlementaire, même si quelques uns leur accordent un rôle non négligeable. À l’examen, trois situations se présentent.
Pour quelques rares assemblées, le droit parlementaire est issu uniquement de règles écrites. Tel est le cas, principalement, des assemblées du Burundi et du Togo.

Dans la plupart des assemblées francophones, les sources écrites coexistent avec des règles non écrites, moyennant deux limites. D’une part, si parfois sont reconnues quelques coutumes parlementaires (Maroc et Sénégal), le recours aux sources non écrites se limite essentiellement à de simples pratiques ou usages (Communauté française de Belgique, Madagascar, Roumanie, Tchad, Tunisie…). D’autre part, dans tous les cas de figure, ces sources non écrites conservent un rôle subsidiaire et non contraignant.

Certaines assemblées, enfin, tout en rappelant la primauté du droit parlementaire écrit, tant au plan quantitatif que qualitatif, se montrent, en revanche, plus accueillantes aux précédents, coutumes et pratiques. En France, notamment, la coutume parlementaire, les précédents et les décisions des instances dirigeantes forment une jurisprudence parlementaire qui possède une relative effectivité juridique. Si les précédents résultent pour l’essentiel de l’interprétation des textes, des « conventions parlementaires » régissent, en dehors de sources écrites, des domaines non négligeables de la vie parlementaire, telles que les questions d’actualité. Une situation comparable s’observe au Congo, au Gabon et, dans une moindre mesure, en Hongrie.

- 12. La tradition britannique : un droit mixte

Dans le fil de la tradition juridique des parlements du type britannique, le système parlementaire en vigueur dans les sections d’Amérique du Nord fait une large place aux règles non écrites.

Le parlementarisme en vigueur au Canada n’ignore pas les règles écrites : Lois constitutionnelles de 1867 et 1982, Loi sur le Parlement du Canada au niveau fédéral, Loi sur l’Assemblée nationale au Québec. Mais c’est la place des règles non écrites comme source du droit parlementaire qui caractérise ce système. Il s’agit de l’expression directe des privilèges parlementaires 1, spécificité du parlementarisme britannique, dont le président est le gardien, et parmi lesquels figure le pouvoir exclusif de l’Assemblée de fixer ses propres règles.

Dans l’exercice de leurs fonctions, les Présidents de l’Assemblée et les présidents de commission interprètent le Règlement et leurs décisions, non susceptibles d’appel, constituent des précédents contraignants. Ensuite, compétente pour fixer leurs règles de procédures, les assemblées peuvent y déroger : Par exemple, au Québec, le « consentement unanime », par lequel l’Assemblée peut déroger à n’importe quelle disposition de son Règlement, fait ainsi partie intégrante des usages parlementaires. Par ailleurs, les parlementaires peuvent établir une nouvelle procédure temporaire par le biais d’une motion qui, une fois adoptée, devient un ordre de l’Assemblée et qui a priorité sur toute disposition du Règlement auquel il déroge implicitement. En outre, lorsque le Règlement manque de précision, il est permis de recourir aux dispositions des anciens règlements, ainsi qu’aux usages, aux traditions, voire, dans une certaine mesure, à la pratique d’autres assemblées législatives qui ont le même mode de fonctionnement.

2.- La nature juridique des sources du droit parlementaire

- 21. La tradition continentale : Un droit parlementaire largement constitutionnalisé

Tous les parlements qui partagent la tradition parlementaire continentale agissent dans un système institutionnel défini par des règles de nature constitutionnelle.

Systématiquement, c’est dans la Constitution elle-même que l’on trouve les règles fondamentales afférentes aux assemblées parlementaires : structure du pouvoir législatif, composition des assemblées, durée des mandats, statut des parlementaires, organisation des rapports avec le pouvoir exécutif.

À l’instar de l’exemple français, la majorité de ces parlements recourent également volontiers à des « lois organiques », c’est-à-dire à des lois à statut particulier et à valeur « supralégislative », destinées à mettre en oeuvre des dispositions de la Constitution. Tel est ainsi le cas, par exemple, en Tunisie, au Maroc et dans la plupart des assemblées africaines. Certains autres parlements font cependant l’économie de ce type de normes, la Constitution renvoyant directement aux Règlements des assemblées (Andorre, Roumanie, Communauté française de Belgique…). On notera le cas particulier du Sénégal, qui confère un statut organique au Règlement de l’Assemblée nationale.

Bien entendu, les droits parlementaires issus de cette tradition connaissent, par ailleurs, les Règlements intérieurs des assemblées, entendus comme des normes de droit parlementaire résultant des assemblées elles-mêmes, généralement à la suite de l’adoption de résolutions. Ces Règlements contiennent, d’une manière générale, les règles qui concernent le fonctionnement quotidien des parlements.
Enfin, certains parlements francophones recourent parallèlement à d’autres sources écrites : lois ordinaires pour régir, à des degrés divers, différents aspects du travail parlementaire (France, Roumanie), dispositions réglementaires (Tunisie), instructions ou décisions des Bureaux des assemblées (France, Maroc, Sénégal).

- 22. La tradition britannique : Des sources hétérogènes

Les sources du droit parlementaire dans les assemblées membres fonctionnant sous l’empire du parlementarisme du type britannique figurent dans des instruments de droit plus diversifiés.

De fait, les Lois constitutionnelles de 1867 et 1982 comportent un certain nombre de dispositions relatives aux assemblées, dont, notamment, le principe selon lequel le parlementarisme du Canada repose sur les mêmes fondements que celui en vigueur au Royaume-Uni.

Mais la plupart des règles régissant le fonctionnement des parlements figurent dans des lois. Il s’agit de la Loi sur le Parlement du Canada, de la Loi sur les langues officielles pour la Chambre des communes et le Sénat et de la Loi sur l’Assemblée nationale s’agissant de l’Assemblée nationale du Québec. En ce qui concerne cette dernière, c’est dans ce texte, qui reprend, le cas échéant, certaines dispositions de la constitution de 1867, que figurent la composition et la durée de l’Assemblée, la procédure, les droits privilèges et immunités…
D’autres règles, y compris des dispositions essentielles, figurent, selon le cas, dans des Lois particulières, les Règlements des assemblées, mais aussi, comme on l’a vu, dans l’usage, la pratique et la jurisprudence parlementaire.

3 – L’ordonnancement des sources du droit parlementaire

- 31. La tradition continentale : Un droit parlementaire hiérarchisé

Droit de tradition écrite, droit fortement constitutionnalisé, le droit parlementaire continental se caractérise également par la forte hiérarchie entre les normes qui le composent.

D’une manière générale, les systèmes parlementaires qui relèvent de cette tradition s’inscrivent dans une stricte hiérarchie des normes, selon l’ordre suivant : Constitution, Lois organiques – là où elles existent - Lois ordinaires, Règlements. Dans la plupart de ces mêmes systèmes, c’est à un organisme juridictionnel - Conseil ou Cour constitutionnel(le) – qu’est confié le soin de faire respecter cette hiérarchie, en particulier s’agissant des rapports entre Constitutions et Règlements. D’ailleurs, le plus souvent, les Règlements sont, aux termes de la Constitution, explicitement soumis à la juridiction constitutionnelle qui en assure la conformité aux prescriptions de la Loi fondamentale (France, Tunisie, Congo, Centrafrique, Gabon….).

Dans la mesure où, dans ces parlements, une bonne part des principes et règles concernant le pouvoir législatif figurent dans la Constitution et, le cas échéant, dans les textes qui en constituent les mesures d’application, cette situation a plusieurs conséquences :
- la jurisprudence constitutionnelle joue un grand rôle dans la formation et l’interprétation du droit parlementaire dont elle constitue une source majeure ;
- le droit parlementaire est d’une manière générale, peu autonome, dès lors que l’initiative des parlements pour élaborer leurs propres règles de fonctionnement est à la fois limitée et subordonnée par les principes fixés dans des normes supra réglementaires ;
- toutefois, le principe de la séparation des pouvoirs vient tempérer quelque peu cette contrainte par la reconnaissance d’une certaine marge de manoeuvre des assemblées, au moyen de leurs Règlements, en matière d’organisation et de fonctionnement interne.

- 32. La tradition britannique : Un droit parlementaire autonome

Dans le système en vigueur dans les législatures membres du type britannique, l’ensemble des règles écrites et non écrites qui forme le droit parlementaire respecte une certaine hiérarchie, les textes de nature constitutionnelle étant placés « au sommet » de l’édifice institutionnel.

Par ailleurs, les Règlements des assemblées ne peuvent venir en contradiction avec les Lois qui leur sont applicables - Loi sur le Parlement du Canada, Loi sur l’Assemblée nationale du Québec. De la même manière, si par consentement unanime les membres des assemblées peuvent déroger à toutes dispositions réglementaires, ils ne peuvent écarter une règle de droit parlementaire figurant dans une Loi.
Il n’en reste pas moins que, dans ces parlements, le droit parlementaire se caractérise par son autonomie.

De fait, la Cour suprême du Canada - l’autorité judiciaire ayant seule compétence pour interpréter la Constitution2 - a considéré que les privilèges parlementaires constitutionnels inhérents du parlementarisme britannique s’appliquaient aux législatures canadiennes. Elle a, par ailleurs, jugé que, parmi ces privilèges, figurait celui en vertu duquel l’assemblée législative a seule compétence pour élaborer ses propres règles de fonctionnement, sans possibilité d’ingérence extérieure, y compris du pouvoir judiciaire. En d’autres termes, les normes constitutionnelles elles-mêmes prévoient que les assemblées fixent librement les règles qui les concernent.

Dans ce contexte, les tribunaux se trouvent, à l’égard du droit parlementaire, dans une situation ambivalente :
- d’une part, ils contribuent à la formation du droit parlementaire dans la mesure où ils tranchent des questions constitutionnelles, dont celles de savoir si un cas qui leur est soumis relève de l’exercice d’un privilège parlementaire constitutionnel ;
- d’autre part, la reconnaissance d’un tel privilège a pour conséquence de mettre tout ce qui en relève hors de leur portée, ce qui, en l’espèce, vise, notamment, toute question tenant à la formation et à l’interprétation des règles de procédure.